Deuxième lecture du projet de loi S-215, Loi modifiant le Code criminel (peine pour les infractions violentes contre les femmes autochtones)
Publié le 27 janvier 2016 Hansard et déclarations par l’hon. Lillian Eva DyckL’honorable Lillian Eva Dyck :
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi S-215, Loi modifiant le Code criminel (peine pour les infractions violentes contre les femmes autochtones), mesure que je parraine. Aux termes de ce projet de loi, le mot « Autochtones » englobera les membres des Premières Nations, ainsi que les personnes d’origine métisse et inuite.
Le projet de loi S-215 modifie le Code criminel afin d’exiger que le tribunal, lorsqu’il détermine la peine dans des cas d’agression ou de meurtre, considère comme circonstance aggravante le fait que la victime soit une femme autochtone. Il ajoute ainsi deux nouveaux articles au Code criminel, l’un après l’article 239 et l’autre après l’article 273.
Chers collègues, selon le rapport de 2014 de la GRC, les femmes autochtones risquent quatre fois plus que les autres de se faire assassiner. Près de 1 200 femmes et jeunes filles autochtones ont été assassinées ou sont portées disparues en 32 ans. Le rapport de la GRC confirme ce qu’Amnistie internationale et l’Association des femmes autochtones du Canada répètent depuis des années : les femmes autochtones courent plus de risques que les autres d’être victimes de violence, de disparaître ou d’être assassinées.
La tragédie des femmes autochtones assassinées ou portées disparues fait actuellement l’objet d’une enquête nationale. Cette enquête, espérons-le, révélera les causes profondes de ce drame et permettra l’élaboration de politiques fondées sur des données probantes qui réussiront à empêcher que cela continue. Parallèlement, chers collègues, mon projet de loi est une mesure législative ciblée que nous pouvons mettre en œuvre maintenant pour remédier à la situation.
Chers collègues, trois arguments appuient l’adoption du projet de loi S-215 : en premier lieu, je parlerai d’équité et de droits de la personne; en deuxième lieu, j’exposerai plusieurs dispositions du Code criminel qui permettent de protéger certaines catégories de personnes et d’animaux victimes de violence; en troisième lieu, je traiterai de l’indifférence sociétale.
Pour ce qui est de l’égalité et des droits de la personne, les Canadiens sont vraiment privilégiés d’être protégés par la Charte canadienne des droits et libertés, qui est censée garantir que la loi s’applique également à tous et que tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi. La réalité est cependant tout autre pour les femmes et les jeunes filles autochtones.
En 2004, Amnistie internationale a publié un rapport révolutionnaire intitulé On a volé la vie de nos sœurs, dans lequel l’organisme a révélé que les femmes autochtones du Canada étaient beaucoup plus susceptibles d’être victimes d’un crime violent que toutes les autres femmes canadiennes. De façon similaire, l’Association des femmes autochtones du Canada a révélé, en 2010, qu’il y avait un nombre disproportionné de femmes et de jeunes filles autochtones assassinées ou disparues.
Comme on l’a dit précédemment, le rapport publié en 2014 par la GRC a confirmé la hausse du niveau de violence envers les femmes et les jeunes filles autochtones. Il a en outre révélé qu’il y avait un nombre encore plus important de femmes et de jeunes filles autochtones disparues ou assassinées. La GRC a alors révélé qu’il y avait 1 182 cas de femmes autochtones assassinées ou disparues, et que les femmes autochtones étaient quatre fois plus susceptibles d’être assassinées que les autres femmes canadiennes. Selon Statistique Canada, le nombre de victimes d’homicide est six fois plus élevé chez les femmes autochtones que chez les autres femmes canadiennes.
Ces rapports démontrent de façon indéniable que, au Canada, le simple fait de venir au monde en tant que fille autochtone fait augmenter le risque d’être victime de violence. Il est évident que, malgré les protections garanties par la Charte des droits et libertés, dans les faits, les femmes autochtones ne bénéficient pas de la même protection devant la loi.
En présentant publiquement ses arguments en faveur de la tenue d’une enquête nationale, notre estimé collègue, le sénateur Joyal, a posé la question suivante :
Le gouvernement n’a-t-il pas l’obligation de s’assurer que les femmes autochtones bénéficient de la protection des droits à l’égalité en vertu de l’article 15 de la Charte?
Honorables sénateurs, on ne peut certainement que répondre oui à cette question. Le projet de loi S-215 vise à mieux protéger les femmes et les jeunes filles autochtones contre les agressions et les meurtres.
Honorables collègues, je vais maintenant parler des précédents qui ont été établis avec des dispositions spéciales qui ont été inscrites dans le Code criminel afin de protéger certaines catégories de personnes, des délinquants autochtones ainsi que certains animaux.
Le Code criminel énumère plusieurs circonstances aggravantes qui sont prises en compte lors de la détermination de la peine à imposer à un délinquant. Ces circonstances aggravantes ont pour effet de protéger certaines personnes. L’article 718.2 énumère de nombreuses circonstances. Par exemple, les agressions envers les mineurs, les époux ou les personnes âgées constituent des circonstances aggravantes. Sont également inclus des facteurs plus généraux comme la race, l’origine ethnique, le sexe ou la religion de la victime.
En outre, l’alinéa e) ordonne aux instances judiciaires de porter une attention particulière « en ce qui concerne les délinquants autochtones ». Cette considération, appelée le principe de l’arrêt Gladue, vise à reconnaître que des facteurs culturels complexes tels que le racisme, les pensionnats et les foyers d’accueil ont mené à la surincarcération d’Autochtones.
En 1999, dans l’affaire R. c. Gladue, la Cour suprême a déclaré que cet article du Code criminel avait été adopté pour régler le problème de l’incarcération disproportionnée des Canadiens autochtones comparativement aux Canadiens non autochtones. Elle insiste sur le fait que cet article du Code criminel est une solution de réparation adoptée précisément pour obliger la magistrature à faire des efforts spéciaux pour trouver des solutions de rechange raisonnables à l’emprisonnement pour les délinquants autochtones et à tenir compte des facteurs historiques et systémiques qui ont contribué à leur contact avec le système de justice.
Chers collègues, le Code criminel ne renferme toutefois nulle disposition concernant la survictimisation des femmes autochtones, qui, nous le savons, sont violées trois fois plus et assassinées six fois plus que les autres Canadiennes. Les modifications au Code criminel proposées dans le projet de loi S-215 sont en quelque sorte apparentées au principe de l’arrêt Gladue, mais elles s’appliquent à la victime plutôt qu’au délinquant. L’objet du projet de loi est également réparateur et vise à rectifier la survictimisation des femmes autochtones. Toutefois, il n’a pas pour but de justifier l’abandon du principe de l’arrêt Gladue lorsqu’une personne autochtone est accusée d’agression ou de meurtre d’une femme autochtone et ne devrait pas être utilisé à cette fin.
Chers collègues, je vais maintenant parler de deux projets de loi récents modifiant le Code criminel pour protéger les chauffeurs de transport en commun et les animaux d’assistance. Le premier exemple est le projet de loi S-221, Loi modifiant le Code criminel (voies de fait contre un conducteur de véhicule de transport en commun). Le projet de loi S-221 a créé un nouvel article dans le Code criminel pour rendre l’agression d’un conducteur de transport en commun de service, comme un chauffeur de taxi, une circonstance aggravante pour la détermination de la peine. Lors de l’étude parlementaire du projet de loi S-221, l’un des arguments les plus importants présentés était le fait que les chauffeurs de transport en commun constituent un segment de population particulièrement ciblé par des agressions.
Le même argument peut être avancé pour protéger les femmes autochtones. À l’étape de la deuxième lecture du projet de loi S-221, le parrain, le sénateur Runciman, a dit ce qui suit :
[…] le taux d’homicides parmi les chauffeurs de taxi, de 1987 à 2011, se situait à 3,2 pour 100 000 personnes exerçant la profession, ce qui est beaucoup plus élevé que le taux d’homicides parmi les policiers.
Chers collègues, selon Statistique Canada, le taux d’homicide moyen des femmes autochtones de 2001 à 2014 était de 4,8 pour 100 000 personnes — 4,8 — encore plus haut que pour les chauffeurs de taxi. En comparaison, le taux correspondant pour les femmes non autochtones, le reste des Canadiennes, était de 0,8 pour 100 000 personnes — inférieur à 1. Ces données montrent clairement le taux de meurtre supérieur des femmes autochtones comparativement aux femmes non autochtones, aux policiers et aux chauffeurs de taxi.
Pendant le débat sur le projet de loi S-221, les effets préjudiciables de l’agression des chauffeurs de transport en commun par d’autres personnes, notamment les passagers, étaient considérés comme une question de grande importance.
On peut dire que les agressions et les meurtres des femmes autochtones ont des effets nocifs qui perdurent sur leurs enfants, leur famille et leur collectivité dans son ensemble. Lorsqu’une femme autochtone subit une agression, qu’elle est portée disparue ou qu’elle est assassinée, sa famille est dévastée. Des collectivités sont déchirées, et toutes les personnes concernées voient leur bien-être affecté. Soulignons qu’au cours de leur enfance, les jeunes filles autochtones ont peur. Elles se demandent si elles seront des victimes, elles aussi. Cette peur a donné lieu à la campagne « Suis-je la prochaine », où des jeunes filles autochtones se demandent si elles ne seront pas les prochaines à mourir assassinées ou à être portées disparues.
Chers collègues, le deuxième exemple de projet de loi qui protège une certaine catégorie de victimes est le projet de loi C-35. En juin dernier, nous avons adopté le projet de loi C-35, la Loi sur la justice pour les animaux qui fournissent de l’assistance, ou Loi de Quanto. Quanto est le nom d’un chien policier qui a été tué alors qu’il accompagnait un agent de police dans l’exercice de ses fonctions. Ce projet de loi a érigé en infraction le fait de tuer ou de blesser un animal d’assistance, d’assistance policière ou d’assistance militaire. L’une des dispositions du projet de loi prévoit une peine minimale obligatoire de six mois pour quiconque tue un animal de ce type.
Chers collègues, ce sont là des exemples récents de modifications du Code criminel ayant pour but de protéger les conducteurs de véhicule de transport en commun, comme les chauffeurs de taxi, ainsi que les animaux d’assistance, comme les chiens policiers. Si nous sommes capables d’adopter des dispositions spécialement pour eux, nous sommes certainement capables d’adopter des dispositions spéciales pour les femmes autochtones.
Des sénateurs : Bravo!
La sénatrice Dyck : Chers collègues, je voudrais maintenant soulever la question de l’indifférence de la société à l’égard des femmes autochtones.
Les femmes autochtones sont non seulement plus susceptibles d’être victimes d’un crime violent, mais elles risquent également davantage de ne pas être prises au sérieux. On estime que l’indifférence de la société aggrave la situation de victimes des femmes autochtones, dont la sécurité et la vie sont considérées comme moins importantes et de moindre valeur que celles des autres femmes canadiennes. Comme le souligne Amnistie internationale dans son rapport intitulé On a volé la vie de nos sœurs, les auteurs de certains actes de violence subis par les femmes autochtones « agissent par racisme », ou encore :
[…] parce qu’ils pensent que l’indifférence de la société à l’égard du bien-être et de la sécurité des femmes autochtones leur permettra d’échapper à la justice.
Dans le même ordre d’idées, comme on le fait remarquer dans le rapport de l’Association des femmes autochtones du Canada intitulé Ce que leurs histoires nous disent :
Les expériences de violence et de victimisation que vivent les femmes autochtones n’arrivent pas hors contexte. La violence est perpétuée par l’apathie et l’indifférence envers les femmes autochtones et découle des répercussions continues du colonialisme au Canada […] Le racisme systémique et le patriarcat ont marginalisé les femmes autochtones et ont entraîné l’intersection de problèmes qui sont à l’origine de formes multiples de violence. Le résultat du système de colonisation est un climat où les femmes autochtones sont particulièrement vulnérables à la violence, à la victimisation et à l’indifférence de l’État et de la société à l’égard de la violence qu’elles subissent.
Pour les trois raisons dont je viens de parler — la première, faire respecter le droit, garanti par la Charte, des femmes et des jeunes filles autochtones à la même protection et au même bénéfice de la loi; la deuxième, assurer leur accès aux mêmes types de protection dont bénéficient les chauffeurs de taxi et d’autres, comme les chiens policiers; et la troisième, vaincre l’indifférence de la société —, j’estime que les tribunaux saisis d’affaires de voies de fait, d’agression sexuelle et de meurtre devraient d’entrée de jeu considérer comme circonstance aggravante le fait que la victime soit une femme. L’objectif du projet de loi est ainsi de rétablir un certain équilibre dans le système de justice pénale dans l’intérêt des femmes autochtones.
Honorables sénateurs, je vais maintenant vous présenter deux exemples qui illustrent les obstacles auxquels se heurtent les femmes autochtones dans le système de justice. Je vous préviens, je compte ne vous épargner aucun détail. Si elles passaient à la télévision, ces histoires seraient précédées d’une mise en garde aux téléspectateurs.
Il y a l’affaire récente de Cindy Gladue. En juin 2011, Cindy Gladue, une Crie de 36 ans mère de trois enfants, a été retrouvée dans la baignoire d’une chambre d’hôtel d’Edmonton en train de mourir au bout de son sang. L’accusé dans l’affaire était un camionneur qui avait passé deux jours avec Cindy. Pendant qu’il dormait, Cindy est morte d’exsanguination causée par une lésion de 11 centimètres à la paroi vaginale. La Couronne a fait valoir que la lésion avait été causée par un objet pointu ou tranchant. Les avocats de la défense, eux, ont fait valoir qu’elle était la conséquence de relations sexuelles brutales puisque Cindy Gladue était travailleuse du sexe à l’époque. Le jury a déclaré l’accusé non coupable — c’était le printemps dernier —, autant de l’infraction de meurtre que de celle d’homicide involontaire. Fort heureusement, le procureur général de l’Alberta a interjeté appel de la décision.
Au cours des 20 dernières années, on a rapporté au Canada seulement trois cas dans lesquels la victime est décédée à la suite de pratiques sexuelles brutales. Dans les trois cas, le défendeur a été condamné au minimum pour homicide involontaire coupable. Comme je l’ai dit, le jury n’a même pas fait cela dans l’affaire en question. Le jury ne comptait aucun Autochtone. Dans un geste sans précédent, la Couronne a présenté en cour le vagin déchiré de Cindy Gladue en tant qu’élément de preuve. Mme Gladue a ainsi été réduite à un organe mutilé. Ce geste était extrêmement offensant et irrespectueux pour la victime et sa famille et, de surcroît, il n’a même pas permis qu’un verdict de culpabilité soit rendu.
Le deuxième exemple est le cas d’Helen Betty Osborne. Mme Osborne avait 19 ans lorsqu’elle a été enlevée et brutalement assassinée près de The Pas, au Manitoba, le 13 novembre 1971. La GRC en est arrivée à croire que quatre hommes étaient responsables du meurtre. Toutefois, des accusations n’ont été déposées contre trois hommes qu’en 1986, soit 15 ans après le meurtre. Finalement, seulement un homme a été condamné à la prison à vie pour le meurtre de Mme Osborne, tandis qu’un autre homme a été acquitté et que le troisième s’est vu accorder l’immunité et a été libéré en échange de son témoignage contre les autres accusés.
Il convient de signaler que le meurtre d’Helen Betty Osborne a été d’une violence extrême. Elle a été sauvagement battue, agressée et poignardée à plus de 50 reprises, apparemment avec un tournevis. Je me souviens très bien de ce cas. Pouvez-vous imaginer ce que peut ressentir une jeune femme qui entend une histoire aussi horrible?
Je suis très heureuse que l’Université de Winnipeg ait nommé un pavillon en l’honneur d’Helen Betty Osborne afin qu’on se souvienne de ce qu’il lui est arrivé.
Le cas d’Helen Betty incité la Commission de mise en œuvre des recommandations sur la justice autochtone à mener une enquête sur le temps qu’il a fallu pour résoudre cette affaire. La commission a conclu que les facteurs les plus importants qui avaient retardé la résolution du cas et y avaient nui étaient le racisme, le sexisme et l’indifférence des intervenants, de la collectivité jusqu’au système de justice pénale. Voici un extrait du rapport :
Il est clair que Betty Osborne n’aurait pas été assassinée si elle n’avait pas été Autochtone. Les quatre hommes qui l’ont rencontrée dans les rues de The Pas ce soir-là et qui l’ont assassinée étaient à la recherche d’une fille autochtone avec qui « faire la fête ». Ils ont trouvé Betty Osborne. Devant son refus de faire la fête, ils l’ont emmenée en voiture hors de la ville et l’ont tuée. Les hommes qui ont enlevé Betty Osborne ne l’ont absolument pas considérée comme un être humain et ont fait preuve d’un mépris total à l’égard de ses droits en tant que personne. Ceux qui sont demeurés passifs face à l’agression et aux avances sexuelles et qui n’ont rien fait alors qu’on la battait à mort ont fait preuve de racisme, de sexisme et d’indifférence. Ceux qui connaissaient l’histoire et qui se sont tus ont aussi une part de culpabilité.
Toute la communauté a protégé les hommes et je peux le comprendre. La famille a donc souffert pendant 15 ans.
Chers collègues, voilà seulement deux exemples parmi de nombreuses causes où les contrevenants accusés de l’agression violente ou du meurtre ignoble d’une femme autochtone sont condamnés à des peines qui semblent plutôt clémentes.
Chers collègues, le Globe and Mail a rapporté en novembre dernier que la famille d’une femme autochtone assassinée a décidé de ne pas corriger les choses lorsque la victime a été désignée de race blanche par erreur, afin d’éviter les préjugés de la police et l’apathie du public.
Voici comment a réagi la ministre des Affaires autochtones, Mme Carolyn Bennett. Je cite :
Dans cette affaire, le fait qu’une famille doive cacher l’origine autochtone d’un être aimé est troublant et en dit long sur les énormes problèmes de racisme et de sexisme au pays.
Honorables sénateurs, la publication en juin dernier du rapport sommaire de la Commission de vérité et réconciliation a été un moment charnière de l’histoire canadienne. Le juge Murray Sinclair a déclaré ce qui suit :
Même les enfants qui ont fréquenté les écoles publiques plutôt que les pensionnats ont reçu les mêmes enseignements, car l’attitude sociale reflétée dans les écoles publiques et les pensionnats était la même.
Autrement dit, on a enseigné à tous les Canadiens que les Autochtones étaient :
[…] des païens, des sauvages, des barbares, qui venaient d’une culture inférieure et de peuples inférieurs.
Ces idées sous-tendent les stéréotypes actuels selon lesquels les hommes autochtones sont des prédateurs sexuels et les femmes autochtones, des proies sexuelles.
Honorables sénateurs, je ne crois pas me tromper en disant que les femmes autochtones se trouvent dans une situation unique, puisqu’elles sont à la fois des femmes et des Autochtones, et vivent dans une société coloniale qui les dévalue et les déshumanise. Certains pensent encore qu’une femme autochtone a moins de valeur qu’une autre femme.
Pire encore, il existe encore un stéréotype selon lequel les femmes autochtones seraient des femmes aux mœurs légères, ouvertes aux aventures sexuelles. Elles risquent donc davantage de subir des avances sexuelles intempestives et, malheureusement, d’être victimes d’une agression sexuelle violente ou de mourir assassinées dans des circonstances atroces.
De plus, en raison d’une discrimination supposément subtile à l’égard des femmes et des jeunes filles autochtones dans le système de justice, les torts graves qu’elles subissent ne sont pas traités avec tout le sérieux voulu, et l’indulgence guide parfois les peines imposées aux délinquants.
Grâce au projet de loi S-215, il sera plus probable qu’une attaque ou un meurtre à l’endroit d’une femme autochtone entraîne des conséquences sérieuses, comme il se doit.
Chers collègues, de toute évidence, le projet de loi S-215 ne comblera pas toutes les failles du système de justice qui a très mal servi Cindy Gladue, Helen Betty Osborne et nombre d’autres femmes autochtones, mais c’est un pas dans la bonne direction, un pas vers la réconciliation. En considérant comme circonstance aggravante le fait que la victime soit une personne de sexe féminin et autochtone, donc en créant une catégorie de personnes protégées, on reconnaîtrait que, pour des raisons historiques, ces personnes sont souvent victimisées et subissent une discrimination systémique au sein du système de justice.
Honorables sénateurs, le projet de loi S-215 modifie deux éléments du Code criminel. Tout d’abord, il prévoit l’ajout d’un nouvel article à la fin des articles du Code criminel portant sur le meurtre. Le nouvel article se lit comme suit :
239.1 Le tribunal qui détermine la peine à infliger à l’égard d’une infraction prévue aux articles 235, 236 ou 239 est tenu de considérer comme circonstance aggravante le fait que la victime soit une personne du sexe féminin qui est indienne, inuite ou métisse.
Deuxièmement, le projet de loi prévoit l’ajout d’un nouvel article après les articles du Code criminel qui portent sur les agressions et les agressions sexuelles. Voici le nouvel article :
273.01 Le tribunal qui détermine la peine à infliger à l’égard d’une infraction prévue à l’alinéa 264.1(1)a) ou à l’un des articles 265 à 269 ou 271 à 273 est tenu de considérer comme circonstance aggravante le fait que la victime soit une personne du sexe féminin qui est indienne, inuite ou métisse.
Honorables sénateurs, la disparition et l’assassinat tragique d’un très grand nombre de femmes et de jeunes filles autochtones ne fait aucun doute. En ce qui concerne les femmes autochtones, le taux d’homicide est de 4,8 par 100 000 habitants, alors qu’il est de 3,2 pour les chauffeurs de taxi, de 2,6 pour les policiers et de 0,8 pour les femmes non autochtones. Au Canada, les femmes et les jeunes filles autochtones sont victimes d’infractions plus violentes et elles disparaissent dans une proportion beaucoup plus élevée que les autres femmes canadiennes. Le projet de loi S-215 traite de cette iniquité et stipule que leur grande vulnérabilité doit être considérée comme une circonstance aggravante au moment de la détermination de la peine.
Donc, si une femme autochtone est victime d’une agression, d’une agression sexuelle ou d’un meurtre, son identité constitue un facteur aggravant. Une telle mesure enverrait un message clair aux tribunaux et à la population en général et dénoncerait le fait que les femmes et les jeunes filles autochtones sont la cible de crimes violents. Si nous adoptons ce projet de loi, nous prouverons que nous accordons autant d’importance aux femmes autochtones que nous en accordons aux autres femmes canadiennes, aux chauffeurs de taxi, aux autres conducteurs de véhicules de transport en commun, aux policiers, aux chiens policiers et aux autres animaux d’assistance.
Honorables sénateurs, les lois d’un pays reflètent les croyances et valeurs de ses citoyens. Comme l’a déclaré le président d’Inuit Tapiriit Kanatami, Terry Audla : « Notre société sera jugée à sa façon de traiter ses membres les plus vulnérables. »
Chers collègues, ce projet de loi nous donne la possibilité de déclarer que nous, membres du Sénat, accordons de la valeur aux femmes et aux jeunes filles autochtones et que nous considérerons que leur identité en tant que femmes autochtones est une circonstance aggravante, dont il faut tenir compte au moment de déterminer la peine dans les cas d’agression et de meurtre.
Honorables sénateurs, nous avons l’occasion de faire front commun, d’examiner rapidement ce projet de loi et de le renvoyer au comité pour qu’il fasse l’objet d’une étude approfondie. En tant que sénatrice autochtone, j’ai l’honneur et le privilège de vous demander votre appui au nom des femmes et des jeunes filles autochtones portées disparues ou assassinées, ainsi que de leurs familles et de leurs collectivités.
Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénatrice Dyck, acceptez-vous de répondre à une question?
La sénatrice Dyck : Oui, j’accepte. Merci.
L’honorable George Baker : Merci, Votre Honneur. Premièrement, je tiens à féliciter l’honorable sénatrice d’avoir présenté ce projet de loi. Les raisons qu’elle a citées à l’appui du projet de loi reprennent celles que la Cour suprême du Canada a invoquées dans l’affaire Gladue, à laquelle elle a fait allusion.
La question que je veux lui poser est d’ordre un peu technique, mais je pense qu’elle est importante. Elle porte sur l’article normal du Code criminel — elle l’a étudié à fond. Je le sais étant donné la participation de la sénatrice au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles et les allocutions qu’elle y a faites sur des sujets semblables. Les circonstances aggravantes et atténuantes de la détermination de la peine sont énumérées à l’article 718.2 du Code criminel. La sénatrice les connaît très bien.
Dans le cas du projet de loi dont nous sommes saisis, j’imagine qu’on lui demandera si elle a envisagé de modifier l’article portant sur la détermination de la peine, mais je la félicite de s’être attaquée directement au cœur du problème en passant par l’article 239 du Code criminel, qui porte sur la tentative de meurtre. Elle a aussi mentionné l’article 273, sur l’agression sexuelle grave.
Vous êtes donc passée directement par ces deux articles et vous avez ajouté une circonstance aggravante. La circonstance atténuante dont vous avez parlé tout à l’heure, dans votre allocution, se rapporte, comme vous le savez très bien, à l’alinéa 718.2e) du Code criminel.
La sénatrice Dyck : C’est exact.
Le sénateur Baker : Voici ma question : d’après toutes les recherches que vous avez effectuées, quelqu’un, que ce soit une autorité juridique ou un spécialiste universitaire, a-t-il déjà suggéré que ces articles du Code criminel soient modifiés pour qu’ils puissent avoir précisément l’effet que vous voulez leur donner? Quelqu’un a-t-il déjà proposé, dans un document, l’excellente suggestion que vous faites? Je n’ai jamais eu connaissance d’une telle suggestion, mais vous pouvez peut-être nous dire si vous l’avez trouvée ailleurs?
La sénatrice Dyck : Je vous remercie de votre question, sénateur Baker. Nous avons effectivement passé en revue la documentation. Comme vous le savez peut-être, dans la plupart des cas, les gens mettent l’accent sur les délinquants. Ils ne pensent pas aux victimes. Nous n’avons rien trouvé en ce sens. Nous nous sommes précisément intéressés aux dispositions sur les agressions et les meurtres parce que tous les précédents rapports démontrent que c’est ce qui arrive aux jeunes filles et aux femmes autochtones.
Nous avons envisagé de modifier l’article 718 lui-même pour qu’il tienne compte de tous ces autres facteurs, mais cela l’aurait rendu plus général, et je croyais que ce n’était pas approprié. Nous n’avons rien vu qui suggère qu’une telle mesure devrait être prise. Toutefois, en fin de semaine, je faisais des recherches — et vous savez comment on trouve des choses tout à fait par hasard lorsqu’on fait des recherches sur Internet — et j’ai trouvé une thèse de maîtrise en droit de l’Université de la Saskatchewan, mon alma mater, rédigée par une avocate qui suggérait de modifier l’article 718.2. Cela semblait très compliqué de le faire, et on le voyait par la façon dont elle en parlait, car il faudrait prouver que c’est motivé par la haine. C’est très difficile à prouver, alors que, dans ce cas-ci, en visant les articles précis qui concernent les agressions et les meurtres, on rend l’objet du projet de loi beaucoup plus clair, et on cible directement ce qui arrive aux femmes.
Le sénateur Baker : Bravo!