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L’ingérence des fondations étrangères dans les affaires internes du Canada—Interpellation

L’ingérence des fondations étrangères dans les affaires internes du Canada—Interpellation

L’ingérence des fondations étrangères dans les affaires internes du Canada—Interpellation

L’ingérence des fondations étrangères dans les affaires internes du Canada—Interpellation


Publié le 15 mai 2012
Hansard et déclarations par l’hon. Robert W. Peterson (retraité) @fr

L’honorable Robert W. Peterson :

Honorables sénateurs, je souhaite parler aujourd’hui de l’interpellation de l’honorable sénateur Eaton sur « l’ingérence des fondations étrangères dans les affaires internes du Canada et leur utilisation abusive du statut d’organisme de bienfaisance accordé par Revenu Canada ».

D’un côté, le gouvernement a visiblement l’intention de s’attaquer aux organismes de bienfaisance qui se préoccupent de la conservation et de l’environnement au Canada, alors que, de l’autre côté, il accueille chaleureusement les grandes entreprises, les lobbyistes et les bailleurs de fonds étrangers qui appuient les groupes de réflexion de la droite, les mêmes qui se prévalent d’un statut d’organisme de bienfaisance, ce statut sur lequel le gouvernement prétend vouloir faire toute la lumière.

Je serai clair dès le départ. Je conviens, comme la plupart des sénateurs, que le financement des organismes de bienfaisance doit être transparent et qu’on doit en rendre compte. Je suis d’accord pour dire que le public a le droit de connaître l’identité des donateurs étrangers et que les donateurs étrangers doivent respecter la souveraineté du Canada. Toutefois, les modifications à la Loi de l’impôt sur le revenu ne sont pas présentées comme des applications universelles de la loi; mettons donc les choses au point, mettons toutes les cartes sur table et allons au fond de la question.

Comme le sénateur d’en face l’a affirmé, il s’agit ici d’attirer l’attention du Sénat sur l’ingérence des fondations étrangères dans les affaires internes du Canada et leur utilisation abusive du statut d’organisme de bienfaisance accordé par Revenu Canada. J’ajouterais que l’enjeu, c’est toute influence étrangère dans les affaires de l’État. Point final. Cela vaut également pour les groupes de réflexion, les groupes de lobbying étrangers et les sociétés étrangères.

Toutefois, il est manifeste que le gouvernement est bien plus préoccupé par quiconque n’adhère pas à son programme politique que par la portée des activités politiques de tous les organismes de bienfaisance et par les atteintes à la souveraineté du Canada. Le sénateur Larry Smith a posé cette question : qu’y a-t-il de souverain à permettre à une fondation américaine d’utiliser son argent pour porter préjudice à notre secteur de la pêche? Bonne question, mais je demanderais ceci : qu’y a-t-il de souverain à laisser de grandes sociétés américaines du tabac et du pétrole financer des rapports d’intérêts spéciaux pour des groupes comme l’Institut Fraser? Les groupes de réflexion qui sont des organismes de bienfaisance sont censés être apolitiques; pourtant, l’Institut Fraser appuie ouvertement le programme du gouvernement.

Ce sont les mêmes groupes de réflexion et sociétés qui bénéficient d’exonérations fiscales dont on conteste le bien-fondé pour les groupes environnementaux. Auprès des fonds octroyés par les grandes sociétés américaines du tabac et du pétrole, qui font du lobbying par l’entremise de groupes comme l’Institut Fraser, l’argent consacré aux enjeux environnementaux est minime. Auprès des centaines de millions de dollars qui affluent à Ottawa pour le lobbying de l’industrie et des grandes sociétés auprès du gouvernement, le lobbying du secteur environnemental se résume à fort peu de chose.

La Loi de l’impôt sur le revenu dispose clairement que les organismes de bienfaisance doivent consacrer à peu près toutes leurs ressources à des fins de bienfaisance. Par contre, il leur est permis d’en consacrer une partie à des activités politiques; c’est la règle des 10 p. 100. Toutefois, la règle ne s’applique que si les activités politiques sont dénuées d’esprit de parti et ne sont pas au service d’un parti politique en particulier ou d’un candidat à une charge publique. Je signale que, jusqu’ici, la déclaration des activités politiques a été laissée à la discrétion des organismes de bienfaisance.

L’Institut Fraser est un groupe de réflexion enregistré comme organisme de bienfaisance. À la différence de la Fondation Suzuki et du Sierra Club, l’Institut Fraser prétend ne pas consacrer aux activités politiques les 10 p. 100 autorisés.

Honorables sénateurs, est-ce que le fait de réclamer publiquement du gouvernement qu’il modifie les lois sur les dépenses électorales est considéré comme une activité politique? Est-ce que le fait d’inciter les provinces à adopter des lois sur le droit au travail est considéré comme une activité politique? Est-ce que la production de rapports prétendument scientifiques mais sans fondement pour tenter de saper la légitimité des thèses sur les changements climatiques, tout cela après avoir reçu des fonds d’ExxonMobil, est considéré comme une activité politique?

Pour ne pas être en reste, au cours de la campagne électorale fédérale de 2011, le président de l’Institut Fraser a critiqué certains aspects des budgets libéral et néo-démocrate, les prétendant préjudiciables pour l’économie, tout en soulignant les mérites du budget conservateur. N’oubliez pas, honorables sénateurs, que ce groupe a le statut d’organisme de bienfaisance parce que ses recherches sont censées être politiquement impartiales.

L’institut reçoit aussi des fonds de sources étrangères contestables depuis un certain temps. Parmi ceux qui le financent, notons les frères Koch, deux milliardaires américains qui possèdent la deuxième société privée, par ordre d’importance, en Amérique. Leur richesse combinée de 35 milliards de dollars n’est surpassée aux États-Unis que par celle de Bill Gates et celle de Warren Buffett. Les Koch exploitent des raffineries de pétrole en Alaska, au Texas et au Minnesota et ils contrôlent plus de 4 000 milles de conduites de pipe- line. Ils ont donné des dizaines de millions de dollars à des candidats républicains et aidé à financer des projets qui visent à saper les travaux sur les changements climatiques et les lois en matière d’environnement, à abolir les impôts, les syndicats et tout ce qui se rapporte à la réforme des soins de santé.

En tant que dirigeants de l’empire des industries Koch, fondé sur le pétrole et le gaz, les deux frères ont versé des centaines de millions de dollars en dons de bienfaisance à des groupes de lobbying, à des organisations de défense et de promotion, à des instituts d’éducation et à des campagnes conservatrices dans toute l’Amérique du Nord, y compris au Canada. On a dit aussi qu’ils étaient la source de fonds du mouvement du Tea Party, un groupe dont les assises libertariennes leur conviennent facilement.

Une poursuite récente, aux États-Unis, déposée contre le Cato Institute par les fondateurs de celui-ci, les frères Koch, révèle les ambitions du groupe dans la culture des groupes de réflexion. Les frères Koch ont déposé leur plainte parce que le Cato Institute tentait de vendre le groupe. Le président et cofondateur de Cato a publié en guise de réponse une courte déclaration écrite disant qu’il estime que la poursuite est une tentative de prise de contrôle hostile de Charles Koch, qui voudrait faire de Cato non plus une organisation de recherche impartiale, mais une entité politique qui appuierait davantage son programme partisan.

Ces allégations ont poussé les autorités à exhorter l’IRS à examiner ces pratiques contestables. Chose curieuse, depuis 2007, les frères Koch ont donné plus d’un demi-million de dollars à l’Institut Fraser. Et avant 2008, l’institut a reçu des fonds de la Claude R. Lambe Foundation, une fondation familiale parapluie des frères Koch. Ajoutons que les dossiers fiscaux de la fondation montrent que les subventions à l’Institut Fraser sont parmi les dons les plus élevés qui soient faits, et des tendances se dessinent.

En fait, les fonds d’origine étrangère ont atteint près de 16 p. 100, selon la déclaration de revenus de l’Institut Fraser en 2010. Ces dons de l’étranger, qui ont totalisé plus de 1,7 million de dollars en 2010, sont nettement plus élevés que ceux que, à eux deux, la Fondation David Suzuki et le Sierra Club du Canada ont reçus de l’étranger. Je le répète : les fonds de l’étranger ont atteint 1,7 million de dollars en 2010 et 2,9 millions de dollars en 2009 seulement. À côté de cela, la Fondation David Suzuki a reçu 550 000 $ et le Sierra Club 140 000 $.

Les statistiques fédérales révèlent que seulement 2 p. 100 des organismes de charité reçoivent des fonds de l’étranger, mais, contrairement à ce que le gouvernement prétend, c’est l’argent provenant d’agents politiques comme les frères Koch qui constitue en fait une grande partie de ces fonds étrangers et non l’argent destiné au lobby environnemental.

Des documents publiés par la Legacy Tobacco Documents Library de l’Université de Californie à San Francisco énumèrent aussi pas moins de 209 documents concernant l’Institut Fraser. Ces documents révèlent que cet institut a été l’objet de lobbying et a reçu des dons totalisant des centaines de milliers de dollars. Bien que l’Institut Fraser affirme que son financement n’est pas lié aux recherches qu’il produit, il est intéressant de constater qu’après avoir reçu des dons de grands fabricants de tabac, il a publié un rapport mettant en doute des études concluantes qui montraient un lien entre la fumée secondaire et le cancer des poumons. L’institut a aussi dénoncé l’adoption des lois antitabac au Canada. Des lettres du président de l’institut publiées par la Legacy Tobacco Documents Library montrent que les sociétés Imperial Tobacco, JTI-Macdonald et Benson & Hedges étaient toutes impliquées dans la combine de l’Institut Fraser.

Oui, je suis en faveur de rendre les bailleurs de fonds philanthropiques transparents. J’irais même plus loin et je proposerais que l’institut publie tous ses documents des dix dernières années. Comme je l’ai déjà dit, jouons tous carte sur table. Laissons ainsi le public décider qui essaie vraiment d’influencer le gouvernement.

Les vrais perdants, ici, seraient les organismes de bienfaisance voués au développement international et à l’environnement, les organisations religieuses et les universités, qui reçoivent tous des dons légitimes de l’étranger. Ces groupes devraient craindre que leur source de financement soit coupée à cause d’un programme impitoyable et irrationnel et que leurs activités de bienfaisance soient qualifiées d’« activités politiques » ou, encore pire, de « blanchiment d’argent » et soient alors supprimées par un gouvernement qui choisit les gagnants et les perdants. Les membres de ces groupes devraient s’inquiéter parce qu’ils pourraient être les prochains qui seront abolis par les conservateurs.

Les groupes confessionnels pourront-ils parler des choix en matière de santé? Une organisation environnementale communautaire qui s’efforce de protéger les milieux humides de sa région sera-t-elle exclue du secteur caritatif? Personne ne le sait.

D’éminents experts du monde caritatif ont commenté le geste posé par le gouvernement cette semaine, pendant la réunion du Comité permanent des finances. Ils ont déclaré que les mesures prévues auraient probablement un effet néfaste sur les organismes de bienfaisance dont les activités sont légitimes. D’après ces experts, ces changements pourraient, à tout le moins, entraîner un certain refroidissement à l’égard des dons de charité, puisque les donateurs et les divers organismes de bienfaisance bénéficiaires des dons craindront de voir leur financement lié à des activités politiques légitimes.

Récemment, les organismes de bienfaisance ont indiqué que ce refroidissement s’était transformé en véritable période glaciaire. Alors que le financement des organismes de bienfaisance n’a jamais été aussi peu élevé, toute baisse supplémentaire peut avoir des conséquences catastrophiques, particulièrement pour les organismes de petite ou de moyenne taille.

La semaine dernière, mon collègue, le sénateur Cowan, a fait cette interpellation :

Que le Comité sénatorial permanent des finances nationales soit autorisé à étudier, afin d’en faire rapport, les conséquences fiscales de diverses activités publiques et privées de promotion des intérêts menées, au Canada et à l’étranger, par des entités qui ont le statut d’organisme de charité et par d’autres organismes qui n’ont pas ce statut […]

Ainsi, le comité pourra étudier cette question en détail et déterminer ce qui constitue une activité politique et un don de charité.

J’ai la ferme conviction que le Sénat devrait autoriser la tenue de cette étude qui pourrait, je l’espère, mettre fin aux incertitudes qui commencent à planer dans ce domaine.