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Projet de loi no 1 d’exécution du budget de 2017—Quatorzième rapport du Comité des banques et du commerce sur la teneur du projet de loi

Projet de loi no 1 d’exécution du budget de 2017—Quatorzième rapport du Comité des banques et du commerce sur la teneur du projet de loi

Projet de loi no 1 d’exécution du budget de 2017—Quatorzième rapport du Comité des banques et du commerce sur la teneur du projet de loi

Projet de loi no 1 d’exécution du budget de 2017—Quatorzième rapport du Comité des banques et du commerce sur la teneur du projet de loi


Publié le 13 juin 2017
Hansard et déclarations par l’hon. Paul Massicotte

L’honorable Paul J. Massicotte :

Honorables sénateurs, je vais formuler quelques commentaires sur certaines sections du rapport du Comité des banques portant sur le projet de loi C-44. Je parlerai particulièrement de la Banque de l’infrastructure fédérale dont nous avons déjà longuement parlé; je souhaite ajouter mes commentaires.

J’aimerais commencer en offrant mon appui à la création de la Banque de l’infrastructure du Canada. J’applaudis les efforts du gouvernement d’attirer des investissements du secteur privé et des investissements institutionnels en vue de projets d’infrastructure d’intérêt public qui sont grandement nécessaires.

Cela ne m’empêchera pas de vous faire part aussi de quelques réserves à l’égard du projet de loi sur la Banque de l’infrastructure du Canada. Ces réserves concernent le cadre de gouvernance de la banque, tel qu’il est présenté dans la législation proposée et tel qu’il a été décrit au Comité sénatorial permanent des banques et du commerce par le ministre des Finances et ses fonctionnaires.

L’objectif principal de cette banque de l’infrastructure est de mieux répondre au besoin du Canada de nouvelles infrastructures stratégiques. Juste pour vous donner une idée, on estime qu’actuellement, le déficit en matière d’infrastructures se situe entre 150 milliards et 1 billion de dollars.

Par l’intermédiaire de la banque de l’infrastructure, 35 milliards de dollars en fonds publics seront utilisés afin d’attirer des milliards de plus en investissements du secteur privé pour de grands projets, tels que des routes, des ponts et des réseaux de transport en commun.

Ultimement, la Banque de l’infrastructure constitue aussi un outil clé de la croissance économique. Investir dans les infrastructures est un des moyens les plus efficaces de stimuler l’économie. Pour 1 milliard de dollars investis, 18 000 emplois sont créés la première année et le PIB connaît une croissance d’environ 1,5 milliard de dollars.

Les investissements dans les infrastructures stratégiques vont également renforcer notre capacité économique. Les dépenses dans les infrastructures qui favorisent la productivité et le commerce vont soutenir la compétitivité à long terme du Canada.

Cela aura pour effet une croissance semi-permanente de notre productivité, de notre PIB et de notre niveau de vie. Cela n’est pas sans importance, alors que la situation démographique du Canada tire la croissance économique vers le bas et alourdit nos dépenses en matière de soins de santé.

Ainsi, il est assez facile de convenir que les dépenses dans les infrastructures stratégiques représentent un investissement judicieux. La question de savoir quelle est la meilleure façon de procéder, elle, est beaucoup moins simple.

Commençons par reconnaître que le secteur privé et les gouvernements municipaux et provinciaux sont les plus importants investisseurs dans les infrastructures au Canada. Ils investissent directement dans les pipelines, les routes et les réseaux d’aqueduc, et ce, en grande partie sans le soutien financier du gouvernement fédéral. Il importe de souligner que ce dernier ne s’attend pas à ce que les investissements directs de ces parties dans les infrastructures diminuent. Il reste toutefois que cela ne suffira pas à combler l’important manque d’investissements dans les infrastructures stratégiques au pays.

Par conséquent, comme certains le pensent, pourquoi le gouvernement fédéral ne finance-t-il pas lui-même ces besoins? Après tout, le gouvernement peut emprunter pour aussi peu que 2,2 p. 100. C’est beaucoup moins que les 6 ou 7 p. 100 auxquels s’attendent les investisseurs extérieurs. Pourquoi faire appel à ces investisseurs quand la différence de coût de financement est si importante?

À mon avis, malgré cette différence, les économies qui devraient découler du fait que des professionnels et des investisseurs indépendants vont planifier le projet et assumer la majeure partie des risques liés à la construction des nouvelles infrastructures vont rester plus importantes. Qui plus est, comme le secteur privé assurera la gestion des infrastructures construites, il devrait y avoir d’autres économies et avantages importants. L’expérience confirme cette affirmation, sans compter que le gouvernement a lui aussi des limites quant à la dette qu’il peut raisonnablement assumer.

Le ministre des Finances a confirmé que les investisseurs de l’extérieur n’injecteraient des fonds que dans des projets qui génèrent des recettes selon la formule de l’utilisateur-payeur afin que le rendement de leur investissement soit raisonnable. Les économistes ont montré que le modèle de financement fondé sur l’utilisateur-payeur assure une affectation des capitaux plus efficace dans les projets qui ont le plus de valeur pour les utilisateurs.

Je n’ai aucun doute que les investisseurs privés seront prêts à financer entièrement certains des projets sans aucune aide gouvernementale. Par contre, les expériences passées ont souvent montré que les recettes générées par les projets d’infrastructure d’intérêt public qui utilisent le modèle de l’utilisateur-payeur ne sont pas suffisantes pour attirer les investissements et pour financer entièrement les projets. Pourtant, les avantages qui découlent de certains projets ciblés pour la société et l’économie pourraient très bien justifier une certaine aide gouvernementale en vue d’inciter suffisamment d’investissements privés de l’extérieur. Lorsque c’est le cas, le gouvernement a confirmé que le principal objectif de la Banque de l’infrastructure sera de prendre en charge le financement des projets choisis en offrant le minimum de soutien financier public.

Certains détracteurs se demandent aussi pourquoi on a besoin d’une Banque de l’infrastructure. Pourquoi ne continuerait-on pas à assurer le financement public et privé, un projet à la fois, comme le gouvernement fédéral et la plupart des provinces en ont l’habitude?

Le gouvernement fédéral soutient qu’un organisme distinct comme la Banque de l’infrastructure sera mieux adapté pour attirer l’expertise nécessaire, pour augmenter le nombre de transactions, pour accéder à plus de capitaux de l’extérieur et pour mieux optimiser ses propres contributions. Selon le gouvernement, il s’agit d’une façon honnête et intelligente d’en avoir plus pour son argent.

Je reconnais que tout cela est fort possible, mais que cette initiative fonctionnera seulement si la gouvernance de la Banque de l’infrastructure est structurée de façon à attirer l’expertise nécessaire et les capitaux de l’extérieur.

C’est le Conseil consultatif en matière de croissance économique du gouvernement, présidé par M. Barton, qui est aussi directeur général mondial chez McKinsey & Co., qui a recommandé la création de la Banque de l’infrastructure. Par contre, le comité consultatif a souligné que « la banque devra posséder une structure de gouvernance indépendante » et qu’elle « devrait inclure la nomination d’un conseil d’administration et d’un chef de la direction hautement indépendants et comptant sur une expérience de calibre mondial ».

Des spécialistes externes en matière de financement des infrastructures ont aussi confirmé que, pour attirer des capitaux, il faut s’assurer que les projets sont choisis en fonction du mérite. Nous avons vu récemment trop d’exemples de projets qui se sont avérés décevants parce qu’ils avaient été choisis en fonction de considérations électoralistes à court terme. Les investisseurs sont toujours préoccupés par l’impulsivité qui caractérise les gouvernements et leurs motivations.

C’est pour cette raison que j’ai de profondes réserves quant à la structure de gouvernance que propose le projet de loi à l’égard de la Banque de l’infrastructure. Les déclarations récentes du ministre des Finances au Comité sénatorial des finances ne font qu’ajouter à mes inquiétudes.

En effet, dans le projet de loi, le gouvernement se donne le droit de nommer chaque membre du conseil d’administration, le président du conseil ainsi que le président-directeur général, et ce dernier conjointement avec le conseil d’administration. Le gouvernement se réserve aussi le droit de congédier le président-directeur général selon son bon vouloir, même sans cause.

D’autre part, le ministre des Finances a confirmé que chaque investissement devra faire l’objet d’une approbation de la part du gouvernement.

Comme certains des témoins entendus par le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, je crains que ce cadre de gouvernance ne permette pas à la Banque de l’infrastructure d’atteindre le niveau d’indépendance dont elle a besoin. Je reconnais que la banque doit être responsable dans la mesure où elle utilisera de l’argent public, mais comment attirer un président- directeur général chevronné et les investissements nécessaires avec une telle structure de gouvernance, qui laisse autant de place à l’influence électorale?

Il ne faudrait pas répéter l’expérience de la Northern Australia Infrastructure Facility, dont le cadre de gouvernance initial ressemblait dangereusement à celui qui nous est proposé ici. Il est bon de savoir que le gouvernement australien a dû la réviser en 2016, car elle n’a pas permis d’attirer les investisseurs attendus.

Le cœur du problème est donc le suivant : quel est l’équilibre qui permettra à la fois de répondre aux exigences de transparence et de responsabilité qui sont dues aux contribuables et d’atteindre les objectifs de cette banque de l’infrastructure?

Lors de son témoignage, le ministre Bill Morneau a affirmé qu’il est très sensible à cet enjeu et à l’importance d’assurer la crédibilité de la banque auprès des investisseurs étrangers.

Je demande donc au gouvernement d’adopter et de formaliser immédiatement des pratiques et des mesures de gouvernance allant dans ce sens. Il en va du succès de cette banque.

Vous remarquerez que je ne souhaite pas compliquer les choses en amendant le projet de loi à cette étape-ci, mais je me permets tout de même les suggestions suivantes, qui contribueront à remédier aux lacunes du cadre de gouvernance proposé dans le projet de loi.

Premièrement, n’est-il pas superflu de devoir faire approuver chaque investissement par le gouvernement, quelles que soient l’importance et la nature de ces investissements? Je rappelle qu’il est déjà prévu que le gouvernement reçoive et approuve le budget et le plan d’affaires annuel de la banque.

En deuxième lieu, le président-directeur général de la banque ne devrait-il pas être embauché selon le droit commun des contrats qui soumet les congédiements à l’existence d’un motif valable?

Enfin, ne devrions-nous pas aussi rendre publiques les compétences et expériences recherchées pour les futurs membres du conseil d’administration? Tout cela est la norme en matière de bonne gouvernance.

Plusieurs modèles de banques de l’infrastructure existent dans le monde. Je crois vraiment que la nouvelle structure de gouvernance de la Northern Australia Infrastructure Facility, adoptée en 2016, est un excellent repère pour le Canada.

Pour conclure, je tiens à réaffirmer que la Banque de l’infrastructure du Canada est un projet important pour notre pays et notre économie. C’est pourquoi je soutiens pleinement sa création, malgré les réserves que je viens d’exposer. C’est parce que je crois fermement aux objectifs de la Banque de l’infrastructure que je souhaite qu’elle ait véritablement les moyens de les réaliser. J’espère que mes suggestions pour qu’elle atteigne son plein potentiel seront entendues par le gouvernement et seront adoptées immédiatement. Merci.