Forum des sénateurs libéraux

Deuxième lecture du projet de loi S-210, Loi modifiant la Loi sur les pêches (pêche commerciale du phoque)

Deuxième lecture du projet de loi S-210, Loi modifiant la Loi sur les pêches (pêche commerciale du phoque)

Deuxième lecture du projet de loi S-210, Loi modifiant la Loi sur les pêches (pêche commerciale du phoque)


Publié le 9 novembre 2012
Hansard et déclarations par l’hon. Céline Hervieux-Payette (retraitée)

L’honorable Céline Hervieux-Payette :

Honorables sénateurs, il me fait plaisir de m’adresser à vous aujourd’hui sur un sujet qui me tient à cœur depuis plusieurs années, et ce, bien avant qu’on en fasse des études approfondies au Comité sénatorial permanent des pêches et océans. Je dois quand même aviser les honorables sénateurs que j’ai participé aux audiences de ce comité seulement sur l’étude de ce dossier, soit le dossier qui concerne le rétablissement des stocks de morue et autres poissons de fond, et la gestion durable des populations de phoques gris.

Je suis amateur de chair de poisson. Pendant ma petite enfance, on ne pouvait manger que de la morue au Québec, et elle venait de la Gaspésie. Aujourd’hui, grâce à la congélation, on peut avoir du poisson sur la table tous les jours. Il s’agit d’une industrie qui a déjà été florissante au Québec et dans les Maritimes, mais malheureusement, après que cette industrie ait fait l’objet d’une commission d’enquête, on ne peut pratiquement plus consommer ces produits qui viennent de nos côtes.

Je fais souvent référence au fait que les premiers prédateurs de nos morues étaient les Européens venus les pêcher au large de nos côtes et je suis sûre, honorables sénateurs, que vous êtes d’accord avec moi sur ce point. Ensuite, on a vu une prolifération des phoques dans cette région, le rapport ne portant que sur les provinces de l’Atlantique.

Dans le rapport, il est question de morues, mais aussi de plies, de raies et de merluches. Ce sont toutes des espèces de poissons de fond qui sont menacées, voire en voie de disparition. Par contre, alors que cette ressource naturelle ne peut plus se reproduire, on trouve une population de phoques qui grandit de façon exponentielle.

Au moment où on a mené des études sur le sujet, dans les années 1980, avec le rapport Malouf, la population de phoques n’était pas celle qu’on retrouve aujourd’hui et qui se situe, selon ce que disent les experts, entre huit et 10 millions d’individus. Quand on parle du phoque gris, on parle d’une population de 330 000 à 410 000 têtes qui est aussi en nette augmentation.

On parle d’un phoque qui pèse entre 550 et 800 livres. On est très loin de la réplique d’un toutou blanchon pour enfant, qui inspire des sentiments très positifs. Je peux vous dire que personne ne voudrait en avoir un dans sa cour, et encore moins les gens qui habitent cette région.

Personne n’est venu nous dire, et on a pourtant entendu plusieurs scientifiques, que la cause de la diminution des stocks de poisson était uniquement attribuable aux phoques, mais, par déduction, ces derniers sont prêts à dire, après avoir analysé la consommation et les résidus chez les phoques, qu’il y a un faisceau de présomptions à cet effet.

Je ne vais pas vous raconter toutes les sagas du Canada sur la scène internationale avec Mme Brigitte Bardot. Elle n’a pas été très gentille à mon égard, mais lorsqu’il s’agit de gens qui ne savent pas de quoi ils parlent, il ne faut pas s’attarder trop longtemps, car il ne faut pas baser des décisions gouvernementales sur les affirmations de personnes qui n’ont aucune compétence dans un domaine.

Je ferai remarquer à mes collègues que j’ai travaillé avec une équipe de chercheurs — des vétérinaires, une anthropologue, un biologiste, des Autochtones et des phoquiers qui connaissaient bien le secteur — et ces derniers ont aidé les provinces atlantiques et le Nord à préparer une charte pour faire du prélèvement éthique chez les phoques, tout en les respectant.

Lorsqu’on parle du phoque gris, en fonction de sa taille, on ne parle pas d’un petit phoque comme on en voit dans le Nunavut. La consommation de ces phoques est d’environ une tonne et demie à deux tonnes de poisson par année; si on considère que la population est de 330 000 à 410 000 têtes, la quantité de poisson ingérée par les phoques est énorme.

Du côté américain, on retrouve des morses. Ce sont des mammifères marins comme les phoques, bien qu’ils n’aient pas le même aspect que le phoque gris. Ils menacent les stocks de saumon et le gouvernement américain entend intervenir. Même s’il boycotte les produits du phoque à cause d’importants lobbyistes, le gouvernement de la Californie souhaite abattre des morses pour protéger les stocks de saumon.

Tout cela pour dire que le gouvernement canadien n’a pas fait de geste inconséquent et le comité n’a pas fait de recommandations à partir de données sentimentales. De manière réaliste, le comité a convenu que, sur une période de quatre ans, 15 000 têtes pourraient être prélevées, mais pas de n’importe quelle façon. Il faut que ce soit fait sans cruauté, sous la supervision de scientifiques, et en assurant que tout ce qui s’appelle produit dérivé puisse être récupéré.

On ne détruira pas 15 000 Phoques. On ne les brûlera pas et on n’en fera pas un produit consommable. On parle d’un animal qui sera traité de façon durable, et qui va servir à d’autres fins.

Notre collègue a probablement obtenu ces informations d’une organisation qui prône le végétarisme. Probablement que la consommation de viande en quantité excessive n’est pas recommandée, mais, pour les populations de la côte Est comme pour celles du Nord du Canada, c’est un aliment essentiel, et ces derniers souffrent énormément des résultats des campagnes négatives menées par les Européens.

Notre collègue croit que, demain matin, on pourra compenser chaque personne, chaque chasseur de phoque et que tout ira bien, puisqu’on a déjà fait des conversions semblables dans le domaine du textile pour répondre au marché international. Cependant, il s’agit ici d’une ressource naturelle composée d’éléments qui peuvent être très utiles à la population canadienne et aux populations étrangères. Il s’agit également de réglementer la population d’un animal qui s’est reproduit de façon incroyable, en grande partie parce qu’il y a peu de prédateurs qui s’attaquent à lui. Le fait d’intervenir en autorisant certains quotas exixte dans d’autres secteurs de chasse.

Il faut savoir que, chaque année, à l’île d’Anticosti au Québec, un certain nombre de bêtes peuvent être éliminées. En Europe également, différentes chasses réglementées sont autorisées selon des quotas.

Réglementer la présence d’animaux sur un territoire utilisé par l’homme et les animaux n’est pas une pratique novatrice. Je dirais plutôt que c’est une pratique millénaire au Canada.

Lors de notre étude — et c’était la position officielle du Parti libéral et de mes collègues libéraux —, nous avons voulu nous assurer qu’on n’autoriserait pas l’élimination des animaux sans assurer une certaine récupération. C’est un élément essentiel que nos collègues conservateurs ont accepté dans les recommandations, en disant au ministre : « Vous savez, les produits dérivés sont extrêmement intéressants et enrichissants. »

Parmi les mieux connus, il y a les acides gras oméga-3. En général, les gens ne sont pas au courant des variations entre leurs différentes provenances. Les acides gras oméga-3 produits à partir du phoque sont naturels à 100 p. 100, certifiés par les laboratoires. J’ai vu comment se fait la collecte de cet élément chez les phoques dans des usines à Terre-Neuve. Les usines capables de procéder à cette collecte existent, ainsi que celles qui peuvent fabriquer les gélules. Malheureusement, les campagnes négatives sur le marché nuisent à l’avancement. Pourtant, les cliniciens le disent, c’est probablement le produit le plus utile pour améliorer la santé des Canadiens.

Mon collègue s’inquiétait des débouchés des produits dérivés, mais c’est sans compter sur un marché mondial grandissant et sur l’intérêt pour les produits naturels qui augmente de façon exponentielle chaque année. On note une augmentation des ventes de produits naturels de 10 p. 100 chaque année. L’avenir de ces produits est donc extrêmement brillant.

Le groupe Tamasu avait entrepris des recherches scientifiques pour étudier la possibilité d’utiliser les valves cardiaques des phoques au lieu de celles des porcs dans les interventions chirurgicales cardiaques. Malheureusement, les campagnes négatives ont nui énormément à cette démarche. On a pu constater que ces organes avaient de grands avantages à être utilisés et la perspective d’une diminution du nombre de rejets était très encourageante. Par contre, on sait fort bien que, pour introduire un nouveau produit sur le marché, il faut énormément d’études cliniques et beaucoup de suivi et d’investissements. La société Tamasu a dû cesser ses recherches sur ce sujet et nous en serons tous perdants. Ce n’est pas demain le jour où les chirurgies cardiaques ne sommes plus nécessaires, malheureusement, et nous devrons nous passer de cet énorme atout.

J’aimerais également vous parler du fait que 50 groupes se sont lancés dans une campagne médiatique sur les produits dérivés du phoque, dans les médias sociaux, entre autres, sur le marché chinois qui avait conclu une entente avec le Canada. Le gouvernement conservateur, je le reconnais, avait conclu une entente très utile pour faire la mise en marché des produits dérivés du phoque. Encore une fois, à cause de groupes provégétariens qui ont mis des bâtons dans les roues, on doit en arriver à la même décision qui a été prise par la Californie, la Russie ou l’Écosse, qui ont des populations de phoques ou de morse, et qui, par la porte arrière, en éliminent une partie pour ne rien en faire.

On pouvait lire dans les journaux européens récemment que les Russes pourraient acheter des conserves de viande de phoque dans les supermarchés. D’après une experte russe, cela permettrait de réduire la prolifération de ces mammifères qui consomment trop de poisson. Des technologies ont été mises au point et permettent de fabriquer des conserves à partir de la viande, du cœur et du foie de phoque. Il faut savoir que le foie de phoque contient une quantité incroyable de fer. À tel point que, même chez les Inuits qui en mangent très souvent…

Puis-je demander cinq minutes de plus, honorables sénateurs?

Son Honneur le Président intérimaire : Les honorables sénateurs acceptent-ils de prolonger le temps de parole de cinq minutes?

Des voix : D’accord.

Le sénateur Hervieux-Payette : Je reviens à la question du contenu alimentaire de la viande de phoque. Il y a des débouchés. Le gouvernement devrait aider à mettre sur pied de nouvelles industries, comme celle des oméga-3 — qui a, je crois, une bonne longueur d’avance, — et la mise en conserve et la vente de ces produits. Certaines personnes ont des carences en fer et elles pourraient profiter des grandes valeurs alimentaires de ces produits. Comme on mange du foie de porc ou de veau, le foie de phoque contient une quantité de fer beaucoup plus importante.

J’aimerais également souligner le fait que la communauté inuite a déposé une protestation auprès de l’Organisation mondiale du commerce. Nous espérons obtenir une décision, en 2013, en faveur des Inuits. Ces derniers contestent carrément ce qu’avancent les Européens sur le fait que les Inuits peuvent chasser le phoque pour en manger, mais pas en faire le commerce, oubliant qu’on ne peut se nourrir que de phoque.

Au Nunavut, les Inuits doivent acheter des produits d’épicerie générale et des légumes. Aux dernières nouvelles, il n’y avait pas beaucoup de champs de pommes de terre et de carottes au Nunavut parce que la saison est assez courte. Ce n’est pas l’endroit où on peut fournir ces aliments complémentaires.

Une fois cette bataille gagnée et une fois que nous aurons mis en place la réglementation sur les populations de phoques gris, nous aurons pendant quatre ans des carcasses d’animaux et tous les produits dérivés. Nous aurons besoin de mettre ce projet sur pied, nous aurons besoin d’expertise et de soutien. Il ne s’agit pas d’acheter les chasseurs de phoque, mais de transformer l’animal prélevé et de nous assurer que nous ayons une industrie viable et durable.

L’approche qui veut que tous les scientifiques s’opposent à l’abattage du phoque gris est une hérésie. Des experts ont comparu devant le comité. Certains étaient moins enthousiastes, mais je peux dire que d’autres disent qu’il y a des moyens disponibles. Ceux qui ont adhéré à la Charte sur la Déclaration universelle sur le prélèvement éthique du phoque sont les premiers à dire que si nous faisons l’abattage en respectant toutes les règles, nous n’aurons pas de problème à répondre aux normes d’éthique internationales.

Il sera important de suivre la décision qui sera rendue en Europe; nous ferons le lien entre ce rapport, la décision du gouvernement et l’aide apportée aux gens pour la mise en marché. Nous ne pouvons pas disposer d’un centre qui va traiter les produits dans toutes les provinces; il y aura un regroupement. Sur ce plan, le Canada travaille avec la Norvège.

En ce qui concerne les autres chasses, on parle d’une industrie d’environ 2 milliards de dollars strictement pour l’Allemagne La plupart de nos collègues à qui j’ai parlé s’opposent à la chasse au phoque parce qu’il n’y a aucun chasseur de phoque dans leur pays. C’est facile de céder à des pressions de groupes animaliers et de s’en débarrasser en disant de ne pas s’en faire, et qu’on votera selon leur choix. Si ces pays avaient des chasseurs de phoque et une population de phoques sur ses berges, je pense à l’Écosse qui, actuellement, élimine les phoques, les tue et n’en fait rien. Je ne crois pas que ce soit la formule à retenir.

En tant que citoyens responsables, nous allons tout simplement demander et souhaiter que le gouvernement fasse la mise en marché et appuie la chasse aux phoques.