Forum des sénateurs libéraux

Les Rohingyas musulmans au Myanmar—Interpellation

Les Rohingyas musulmans au Myanmar—Interpellation

Les Rohingyas musulmans au Myanmar—Interpellation


Publié le 23 juin 2015
Hansard et déclarations par l’hon. Mobina Jaffer

L’honorable Mobina S. B. Jaffer :

Honorables sénateurs, alors que nous nous apprêtons à ajourner nos travaux pour l’été et à retourner dans nos maisons douillettes, j’aimerais vous rappeler le triste sort des Rohingyas. Les Rohingyas du Myanmar n’espèrent qu’une chose : trouver un jour un pays qu’ils pourront appeler le leur. Ils sont victimes de persécution au Myanmar et doivent fuir le pays. Ils n’ont plus de patrie.

Je m’adresse à vous aujourd’hui, pleine d’émotions, pour vous parler de la situation des Rohingyas du Myanmar, qui, après des mois de misère et de souffrance, cherchent toujours une terre d’accueil.

Depuis les derniers mois, les Rohingyas fuient le Myanmar, leur pays natal, parce qu’ils craignent d’être persécutés. Ils espèrent trouver une terre d’accueil où ils pourront vivre en paix. Des passeurs avaient promis de les emmener dans des pays voisins, notamment en Thaïlande et en Malaisie, où ils pourraient trouver du travail et vivre sans crainte de persécution. Les Rohingyas ont ainsi cru qu’ils trouveraient enfin un pays où ils pourraient vivre en sécurité, mais leur espoir a été de courte durée, puisque les autorités de ces pays ont pris des mesures sévères pour mettre fin au passage de clandestins. Les passeurs ont quitté le navire, après avoir menacé de battre, de violer ou de tuer tout Rohingya qui tenterait de les suivre. Malheureusement, les Rohingyas se sont retrouvés seuls dans le golfe du Bengale, contraints de trouver un endroit où demander refuge, où ils seront les bienvenus.

Bien que des pays voisins comme la Thaïlande et la Malaisie aient offert d’accueillir les Rohingyas dans des camps temporaires, le sort des Rohingyas est toujours incertain. Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés estime qu’il y a plus de 810 000 apatrides au Myanmar. Ces personnes n’ont pas de pays d’attache. Les Nations Unies ont conclu que plus de 416 000 personnes ont besoin d’une aide humanitaire, et que 140 000 d’entre elles sont des personnes déplacées qui vivent dans des camps, dans des conditions très difficiles, et d’autres encore n’ont aucune citoyenneté et vivent dans des villages isolés.

D’après les Nations Unies, l’accès à des soins de santé et à des gagne-pain adéquats demeure un grave problème pour les personnes déplacées et les communautés vulnérables de l’État de Rakhine. De plus, les restrictions imposées à la liberté de mouvement de centaines de milliers de personnes compromettent grandement leurs droits fondamentaux en matière de nourriture, de soins de santé, d’éducation, de gagne-pain et d’autres services de base, ce qui les laisse dépendants de l’aide humanitaire.

L’acteur américain Matt Dillon s’est rendu récemment au Myanmar afin de mieux comprendre les conditions de vie des Rohingyas. Après avoir visité la ville de Sittwe, il a expliqué que les Rohingyas musulmans ne peuvent pas se déplacer à leur gré dans la ville; ils doivent rester dans le quartier Aung Mingalar. Ce quartier est entouré de barbelés et, quand Dillon a tenté de prendre des photos, des policiers armés l’en ont empêché.

Il existe des différences extrêmes entre Aung Mingalar et Sittwe. Dans l’une de ces collectivités, il y a des marchés, de l’électricité, on se sent comme dans une ville normale. Dans l’autre, un village aux allures d’apocalypse, les constructions tombent en ruine, les commerces ont fermé et il n’y a pas d’électricité. La nourriture et les médicaments sont rares, tout comme les terres agricoles et les services gouvernementaux de base. Il est pratiquement impossible de gagner sa vie. Les Rohingyas dépendent donc de la générosité des groupes humanitaires et des occasions où ils peuvent fréquenter les marchés de l’extérieur du ghetto.

George Soros, un financier et philanthrope qui œuvre à promouvoir la démocratie, s’est rendu au Myanmar en janvier. Pendant une conférence au sujet des Rohingyas prononcée à Oslo quelques semaines avant son voyage, il a établi des parallèles entre leur situation et ce qu’il a vécu en tant que jeune juif, quand l’Europe était sous l’occupation nazie. Il a expliqué ainsi :

La menace la plus pressante qui plane sur la transition de la Birmanie, c’est l’intensification graduelle de la vague antimusulmane et les mauvais traitements infligés aux Rohingyas au vu et su des autorités. ils sont victimes de ségrégation et subissent des privations terribles. On peut établir un parallèle inquiétant entre cette situation et le génocide nazi.

Vous voyez, en 1944, en tant que Juif vivant à Budapest, j’étais traité comme un Rohingya.

Deux options s’offrent aux Rohingyas, et les deux sont sans issue : ils peuvent vivre sur leurs terres et appeler les camps protégés par des fils barbelés où ils sont installés leur chez-soi, ou ils peuvent prendre le risque de monter à bord d’un navire surchargé pour aller s’établir dans un pays voisin où ils ne sont pas les bienvenus. Dans un cas comme dans l’autre, il est clair que les Rohingyas forment le peuple le plus indésirable au monde, pour reprendre les mots utilisés par le Jewish Journal. En effet, ils sont continuellement persécutés, ils ont été abandonnés à leur sort et personne ne veut les accueillir. La BBC a affirmé que les Rohingyas forment un peuple indésirable qui vit une crise sans fin.

Honorables sénateurs, on s’efforce de sensibiliser davantage la population à cette situation, mais il faut apporter des changements importants pour que la situation puisse enfin s’améliorer. Le gouvernement du Myanmar n’a pris aucune mesure et n’a donné aucune directive afin de mettre fin à la crise. En fait, le gouvernement du Myanmar refuse de reconnaître la citoyenneté des 1,3 million de Rohingyas qui se trouvent sur son territoire. Il utilise le terme « bengalais » pour les désigner. Même si de nombreuses générations de Rohingyas ont habité le Myanmar au fil des ans, le gouvernement considère que ce sont des immigrants illégaux.

Les Rohingyas ont désespérément besoin de nourriture et d’eau; ils sont même contraints de boire leur propre urine pour assurer leur survie. Les ressortissants du Myanmar, eux, manifestent et veulent que leur gouvernement prenne les mesures qui s’imposent pour que les Rohingyas ne reviennent pas habiter l’État de Rakhine. Soe Naing, coordonnateur des programmes sociaux de l’État de Rakhine, a déclaré ce qui suit :

Nous avons manifesté de façon pacifique pour exprimer notre déception et notre inquiétude. Nous voulons aussi envoyer un message clair au gouvernement du Myanmar, à l’Organisation des Nations Unies et aux organisations non gouvernementales internationales : ces migrants doivent être rapatriés immédiatement et nous ne pouvons tolérer leur présence sur la terre de Rakhine.

Honorables sénateurs, comment le gouvernement du Myanmar peut-il rapatrier les Rohingyas qui se trouvent sur son territoire alors que ceux-ci sont, en réalité, originaires du Myanmar?

Le Canada a joué un très grand pour favoriser l’avènement d’une société démocratique au Myanmar. En 1988, le Canada a imposé des sanctions diplomatiques et économiques au Myanmar en réaction aux violations répandues des droits de la personne et à la répression des manifestants par l’armée.

Le Canada a joué un rôle capital dans la libération de la militante pour la démocratie Aung San Suu Kyi, qui a été détenue pour des motifs politiques au Myanmar pendant 15 ans avant d’être finalement libérée en 2010. Elle est maintenant la présidente du principal parti de l’opposition, la Ligue nationale pour la démocratie. C’est après sa libération et le versement de 2 millions de dollars pour consolider le passage du Myanmar à la démocratie que le Canada a fini par lever ses sanctions.

Alors que le Myanmar progresse sur la voie de la démocratie, le Canada a exhorté ses dirigeants à continuer à faire avancer la démocratie et à améliorer la situation au chapitre des droits de la personne en libérant les prisonniers politiques qui restaient et en mettant fin au conflit dans les zones où vivent des minorités ethniques. En levant les sanctions, le Canada s’est engagé à suivre l’évolution de la situation au Myanmar en espérant que les changements continueront d’être positifs. Toutefois, dans l’éventualité où la situation au Myanmar se détériorerait, le Canada a dit être prêt à imposer de nouveau des sanctions.

En 2012, le ministre canadien des Affaires étrangères de l’époque, le ministre Baird, a rencontré Aung San Suu Kyi pour lui remettre un certificat reconnaissant son titre de citoyenne canadienne honoraire. Mme Suu Kyi est devenue l’une des cinq personnes à avoir reçu cet honneur. À cette occasion, le ministre Baird a ce qui sui :

Nous encourageons les autorités à poursuivre leurs réformes de façon à assurer une plus grande ouverture et plus de liberté pour la population birmane.

Mme Suu Kyi a répondu ceci :

Le Canada nous a grandement aidés dans notre transition vers la démocratie.

Elle a ajouté ceci :

[…] Notre gouvernement doit faire de son mieux pour aider d’abord la population de notre pays. Tant qu’il ne pourra pas démontrer sa capacité à le faire, il ne servira à rien de nous demander pourquoi d’autres pays ne nous viennent pas en aide.

Honorables sénateurs, je suis troublée d’apprendre que, malgré sa transition vers une société démocratique, amorcée après un demi- siècle de dictature militaire, le Myanmar a soudainement fait un grand pas en arrière. Je suis consternée qu’Aung San Suu Kyi n’ait pratiquement rien dit ou fait pour résoudre la crise des Rohingyas. Ce n’est que récemment qu’Aung San Suu Kyi a parlé de cette crise après que le monde entier ait critiqué son silence. Voici ce qu’elle a dit en entrevue :

[…] la protection des droits des minorités est une question qui devrait être abordée avec beaucoup de prudence. C’est un sujet très délicat, car il existe de nombreux groupes raciaux et religieux, et ce que nous faisons à un groupe peut également avoir des répercussions sur d’autres groupes.

Quand on a demandé à Aung San Suu Kyi si les Rohingyas devraient se voir accorder la citoyenneté, elle a évité la question.

En 2012, lorsqu’elle a accepté le prix Nobel de la paix qu’elle avait remporté en 1991, alors qu’elle était assignée à résidence, elle a déclaré ceci :

Notre principal objectif devrait être de créer un monde où on ne sait pas ce que c’est que d’être déplacé, sans foyer et désespéré, un monde dont chaque région est un véritable sanctuaire où les habitants sont libres et capables de vivre en paix.

Dans ce cas, honorables sénateurs, pourquoi Aung San Suu Kyi hésite-t-elle autant à parler directement des Rohingyas et de leur droit d’obtenir la citoyenneté dans leur pays d’origine? Pourquoi Aung San Suu Kyi n’a-t-elle rien fait pour promouvoir la paix et la justice pour les Rohingyas du Myanmar? Les injustices auxquelles les Rohingyas sont actuellement confrontés ne sont-elles pas les mêmes que celles contre lesquelles Aung San Suu Kyi s’est battue lorsqu’elle était assignée à résidence? Nous avons tous lutté avec acharnement pour qu’elle soit libérée, et maintenant elle se tait.

Honorables sénateurs, je suis ravie de vous dire que le gouvernement canadien a joué un rôle déterminant dans ce dossier. M. Bennett, ambassadeur de la liberté de religion du Canada, a réclamé la fin de la persécution des Rohingyas quand il a rencontré récemment le ministre des Affaires étrangères et le sous- ministre des Affaires religieuses du Myanmar durant une visite dans ce pays. Honorables sénateurs, la Birmanie doit jouer un rôle plus constructif. Le Canada a appuyé la libération d’Aung San Suu Kyi, et nous devons défendre avec le même zèle les libertés des Rohingyas.

Honorables sénateurs, je tiens à remercier aujourd’hui M. Bennett, ambassadeur de la liberté de religion, de son travail acharné sur ce dossier et de tous les efforts qu’il déploie.

Après avoir aidé le Myanmar à évoluer dans la bonne direction et avoir accordé le titre de citoyenne honoraire canadienne à Aung San Suu Kyi, le Canada doit respecter ses engagements envers ce pays, surtout au moment où les Rohingyas du Myanmar subissent des injustices inimaginables et ont besoin de notre aide. Comme il l’a fait auparavant, le Canada doit continuer à dénoncer haut et fort ce qui se passe au Myanmar.

Si nous faisons abstraction de la religion, de la race et de l’ethnie, nous sommes tous pareils. Il n’est pas question ici de religion ou d’ethnicité, mais plutôt d’humanité et de compassion. En tant qu’êtres humains, que faisons-nous pour nos semblables qui ont besoin de notre aide? Que faisons-nous pour montrer notre compassion? Ce sont des questions comme celles-ci qui me touchent profondément au cœur.

Je veux vous raconteur l’histoire de Mohammed et Dala Banu. Ils vivaient tous les deux dans un village au Myanmar où ils possédaient une ferme avec cinq vaches, trois taureaux et un troupeau de chèvres. Ils vivaient paisiblement avec leur fille, et leur vie était agréable. Mohammed habitait dans le même village que son père, son grand-père et son arrière-grand-père. Sa famille avait des racines au Myanmar. C’était le pays qu’elle considérait comme sa patrie.

Malheureusement, leur plaisante existence a été perturbée lorsque Mohammed a été forcé de travailler en tant que porteur, dans des conditions proches de l’esclavage, sans eau ni nourriture. Durant cette période, sa ferme a été négligée et est tombée en ruine. Ses vaches et ses chèvres se sont mises à disparaître. Les gens se sont mis à le traiter, lui et sa famille, d’intrus bangladais.

Se sentant de trop dans son propre pays, la famille a fui pour aller s’installer dans un camp de réfugiés au Bangladesh, où la fille de Mohammed et Dala a été sauvagement violée. À la suite de cette tragédie, la jeune femme a été transférée au Canada, où elle tente actuellement de s’établir.

Mohammed et Dala, eux, continuent de vivre au camp de réfugiés de Kutupalong et parlent à leur fille aussi souvent que possible. Même s’ils ont vécu la moitié de leur existence dans un camp de réfugiés, vu leur famille déchirée et perdu leur maison, Mohammed et Dala gardent espoir qu’un jour, ils trouveront un foyer bien à eux.

Ils espèrent que leur village sera un jour libéré de l’armée cruelle qui l’occupe et des voisins horribles qui refusent de les voir pratiquer une religion différente de la leur. Ils espèrent y retourner tôt ou tard et remettre leur ferme en état. Ils espèrent que leur fille reviendra du Canada et qu’ils vivront ensemble des jours heureux, chez eux, au Myanmar. C’est grâce à ces espoirs qu’ils arrivent à traverser chaque journée.

Honorables sénateurs, moi qui suis fière d’être Canadienne, je ne puis imaginer ce que je ferais si on me chassait de mon propre pays, là où j’ai élevé ma famille et fondé un foyer. Or, c’est le sort que connaissent des millions de Rohingyas comme Mohammed et Dala, dont les familles ont vécu au Myanmar depuis des générations et qui tentent actuellement de s’établir ailleurs, parce qu’on leur refuse la citoyenneté et qu’on les menace de persécution dans leur propre pays d’origine.

J’interviens aujourd’hui pour exhorter le Canada et les Canadiens à prendre position contre le traitement injuste des Rohingyas du Myanmar. Le Canada n’a pas d’égal au chapitre de la promotion du changement et de la paix, c’est pourquoi j’espère que nous aurons le courage de contribuer à la réalisation des aspirations de Mohammed, de Dala et des autres Rohingyas.

Les Rohingyas ont besoin que nous leur venions en aide avec l’ardeur que nous avons déployée pour libérer Aung San Suu Kyi. Ils ont besoin de nos voix, de notre soutien, de notre pouvoir diplomatique pour les aider à regagner leur pays d’origine, le Myanmar, et y vivre en paix. Ils ont besoin d’avoir un chez eux.

Honorables sénateurs, nous pouvons les aider, tout comme nous avons aidé Aung San Suu Kyi à être libérée. Merci beaucoup.

 

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