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Projet de loi no 2 sur le plan d’action économique de 2014

Projet de loi no 2 sur le plan d’action économique de 2014
Budgets

Projet de loi no 2 sur le plan d’action économique de 2014


Publié le 15 décembre 2014
Hansard et déclarations par l’hon. Jane Cordy

L’honorable Jane Cordy :

Honorables sénateurs, j’aimerais parler brièvement du rapport du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, qui a été déposé au Sénat le 27 novembre. Il porte sur plusieurs aspects du projet de loi C-43, c’est-à-dire le deuxième projet de loi d’exécution du budget à avoir été présenté par le gouvernement. Je tiens d’abord à remercier les membres du comité. Même si, bien souvent, ils divergeaient d’opinion quant à la valeur des mesures étudiées, le rapport qu’ils ont produit tient compte de ces divergences.

Comme nous le savons tous, le projet de loi C-43 est — lui aussi — de nature omnibus. Or, comme, par définition, les projets de loi omnibus sont peu commodes à étudier, pas moins de sept comités sénatoriaux ont été appelés à en faire l’étude. De son côté, le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie était chargé d’étudier la teneur des sections 5, 7, 17, 20 et 24 de la partie 4 du projet de loi C-43, projet de loi no 2 portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 11 février 2014. Je vais commencer par parler de la section 5, mais très brièvement, car le sénateur Eggleton en a très clairement expliqué la teneur dans son allocution. Comme on peut lire dans le rapport :

La section 5 modifierait la Loi sur les arrangements fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces, plus précisément la « norme nationale » concernant le Transfert canadien en matière de programmes sociaux, qui s’appliquerait uniquement à certains groupes de personnes. Selon la norme nationale actuellement définie dans la Loi sur les arrangements fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces, les gouvernements provinciaux et territoriaux ne peuvent pas imposer d’exigence en matière de résidence aux bénéficiaires de l’aide sociale sans s’exposer à une pénalité sous la forme d’une réduction du paiement effectué au titre du Transfert canadien en matière de programmes sociaux par le gouvernement fédéral.

Honorables sénateurs, la modification proposée dans la section 5 ferait disparaître essentiellement toute pénalité imposée par le gouvernement fédéral pour ne pas avoir suivi la norme nationale, et donnerait le champ libre aux provinces et aux territoires pour qu’ils imposent des durées de résidence minimale comme critère d’admissibilité aux programmes d’assistance sociale, sans qu’ils aient à subir de réduction des sommes qui leur sont versées par le gouvernement fédéral dans le cadre du Transfert canadien en matière de programmes sociaux.

Ce changement de politique vise les demandeurs d’asile qui viennent chercher au Canada un endroit sûr. Ils n’ont ni argent ni ressources, et beaucoup n’ont ni connaissances ni parenté au Canada. Honorables sénateurs, les réfugiés sont incapables de travailler au Canada tant qu’ils n’ont pas obtenu leur permis de travail, et celui-ci leur est délivré une fois qu’ils ont séjourné au pays pendant six mois. Ils ont un urgent besoin d’assistance pour se loger et se nourrir jusqu’à ce qu’ils se soient bien établis. La modification législative qui nous est soumise permettra aux provinces et aux territoires d’adopter des dispositions législatives établissant des critères de résidence ayant pour effet de refuser aux réfugiés l’aide dont ils ont besoin. Ils seront alors sans abri et devront s’en remettre à la charité pour survivre.

Je suis perplexe devant les motifs du changement proposé. Qui demande ce changement, et dans quel but?

Lors des travaux du comité, nous avons pu constater que les provinces et les territoires n’avaient pas demandé de tels changements. Un témoin du gouvernement nous a dit qu’il avait eu des discussions avec les provinces. Comme le sénateur Eggleton l’a souligné, le gouvernement de l’Ontario a déclaré ne pas avoir été consulté. En interrogeant le gouvernement de la Nouvelle-Écosse, on s’est aperçu qu’il n’avait, lui non plus, aucunement discuté des critères de résidence avec le gouvernement fédéral. Alors, je me demande qui a été consulté et qui a tenu des discussions avec les représentants du gouvernement. Je me demande aussi pourquoi le gouvernement apporte ce changement. Et comme c’est le même gouvernement qui a éliminé les services de santé pour les réfugiés, il nous faut nous demander si notre pays n’est pas en train de fermer la porte aux réfugiés. En tout cas, on dirait bien que nous voulons leur rendre la vie plus difficile une fois qu’ils sont arrivés au Canada.

Je crois réellement que ce changement est fondamentalement inacceptable. Il est anticanadien de cibler les plus vulnérables et de les abandonner. Je suis convaincue qu’aucun gouvernement provincial ou territorial ne serait assez insensible pour saisir l’occasion offerte par le gouvernement fédéral. Cependant, je ne peux m’empêcher de craindre que ce changement ne soit qu’une petite partie d’une vaste réforme de la politique gouvernementale. Comme le sénateur Eggleton, je suis préoccupée par le fait que nous ne pouvons pas prévoir les répercussions que ce changement aura et savoir s’il s’inscrira dans d’autres changements à l’avenir. Nous ne savons pas ce qui motive cette proposition de changement, qui pourrait avoir des effets dévastateurs sur la vie des réfugiés qui viennent au Canada en quête d’un refuge sûr. Je me range du côté de mes collègues libéraux au comité qui se sont opposés vivement à cet article. Je ne peux appuyer les modifications proposées dans la section 5, d’autant plus que les provinces et les territoires n’ont pas réclamé ce changement, et qu’ils n’ont pas été consultés à ce sujet.

Le comité a également examiné la section 20 et, encore une fois, même si la majorité de ses membres a appuyé cette modification, de vives objections ont aussi été formulées. Comme vous le savez, l’administrateur en chef de la santé publique dirige actuellement l’Agence de la santé publique du Canada, et il a le statut de sous- ministre. Cette disposition lui enlèverait le statut de sous-ministre et créerait le poste de président de l’Agence de la santé publique du Canada. C’est le titulaire de ce nouveau poste qui dirigera désormais l’agence et qui aura un statut équivalent à un sous-ministre.

Notre comité s’est également penché sur la section 17, qui modifie la Loi sur l’identification par les empreintes génétiques afin de créer de nouveaux fichiers dans la Banque nationale de données génétiques. Comme vous le savez, la Loi sur l’identification par les empreintes génétiques a été promulguée en 2000, et l’utilisation des empreintes génétiques a bien sûr contribué considérablement à la résolution d’enquêtes criminelles.

Les modifications proposées à la Loi sur l’identification par les empreintes génétiques étendraient l’utilisation de l’identification par les empreintes génétiques aux enquêtes sur les personnes disparues en créant trois nouveaux fichiers. Le premier serait le fichier des personnes disparues, qui comprendrait le profil d’identification génétique des personnes disparues; ce profil serait établi à partir d’effets personnels, comme une brosse à cheveux ou une brosse à dents. Le deuxième serait le fichier des restes humains, qui comprendrait les profils d’identification génétique provenant de restes humains. Le troisième serait le fichier des parents de personnes disparues, qui serait composé de profils d’identification génétique fournis volontairement par les proches parents des personnes disparues et pouvant être comparés au fichier des restes humains.

De toute évidence, le comité appuie l’objectif des changements proposés dans la section 17, qui renforceront et élargiront le rôle de la Banque nationale de données génétiques. Cela dit, des préoccupations ont été exprimées par le commissaire à la protection de la vie privée du Canada, Daniel Therrien, qui pense que la loi augmentera l’échange de renseignements avec les autres pays ou les organisations internationales. Voici ce qu’il a recommandé au comité :

Compte tenu des préoccupations que nous avons exprimées sur le recours aux profils de personnes disparues dans l’application de loi, et sachant qu’à deux reprises des comités du Sénat chargés d’examiner la Loi sur l’identification par les empreintes génétiques se sont dits préoccupés par la possibilité d’échange de renseignements avec un État étranger concernant une infraction qui pourrait ne pas en être une au sens des lois canadiennes, je vous encourage fortement à retirer du projet de loi les modifications proposées qui ont pour effet d’accroître l’échange d’information à l’échelle internationale.

M. Therrien a également déclaré qu’il faudrait établir une différence entre la communication de l’information à des fins humanitaires et celle effectuée à des fins d’exécution de la loi. Il est nécessaire de protéger la vie privée et, bien entendu, il faudrait appliquer des critères rigoureux aux fins pour lesquelles les renseignements tirés de la Banque nationale de données génétiques seraient utilisés.

Le comité a également examiné la section 24 du projet de loi C-43. Ces dispositions autoriseraient les ministres de la Citoyenneté et de l’Immigration ainsi que de l’Emploi et du Développement social à créer une liste contenant le nom et l’adresse des employeurs reconnus coupables de certaines infractions en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés ou de toute autre loi fédérale ou provinciale qui régit l’emploi ou le recrutement. Les employeurs dont le nom apparaîtrait sur la liste ne seraient pas autorisés à avoir accès au Programme des travailleurs étrangers temporaires ou au Programme de mobilité internationale.

Pendant les travaux du comité, la sénatrice Merchant a posé d’excellentes questions sur l’identité des personnes qui seraient chargées de déterminer la culpabilité de ces employeurs. Des témoins ont aussi exprimé des préoccupations non seulement au sujet de la détermination subjective de la culpabilité, mais aussi de l’absence d’un processus d’appel.

Joyce Reynolds, première vice-présidente, Affaires gouvernementales, Restaurants Canada, a aussi formulé des inquiétudes au sujet de la liste proposée. Elle a dit craindre que le projet de loi accorde aux fonctionnaires le pouvoir général de dénoncer publiquement un employeur sans exiger des motifs valables ou le respect des principes de justice naturelle. Son organisation croit qu’il faudrait mettre en place des mécanismes de surveillance et un processus d’appel.

M. Maynard, de l’Association du Barreau canadien, a aussi parlé de la liste d’employeurs qui serait créée en vertu du projet de loi C-43. Il a dit que cette liste ne protégerait pas les travailleurs étrangers. Elle aurait plutôt pour effet de faire perdre à des employeurs le droit d’avoir accès à ce programme.

La loi exige déjà que tous les employeurs se conforment aux lois fédérales et provinciales en matière de recrutement. M. Maynard a posé diverses questions, dont : Qui verra son nom être inscrit sur la liste? Que signifie l’expression « reconnu coupable »? Il a aussi laissé entendre que le gouvernement devrait déterminer attentivement les infractions qui justifieraient l’inscription sur la liste et les rendre publiques.

Honorables sénateurs, je crois que la plupart d’entre nous, si ce n’est pas la totalité, croient qu’il fallait modifier le Programme des travailleurs étrangers temporaires. Toutefois, comme l’a déclaré Gordon Maynard, de l’Association du Barreau canadien, ces modifications sont une « […] réaction très excessive du gouvernement […] ».

Au moyen de ces modifications, le gouvernement cherche à sévir contre les grandes chaînes de restaurants, les multinationales et l’utilisation abusive du Programme des travailleurs étrangers temporaires. Or, il n’a pas tenu compte des milliers de petits restaurants et commerces indépendants familiaux qui comptent sur le programme pour pourvoir leurs postes vacants. Le gouvernement n’a pas non plus tenu compte des personnes handicapées ou des aînés qui dépendent du Programme des travailleurs étrangers temporaires pour trouver des aidants qualifiés.

En raison des nouveaux règlements mis en place par le ministre, il est difficile, sur le plan financier, pour beaucoup de Canadiens d’embaucher un travailleur étranger temporaire, ce qui cause des difficultés pour nombre de familles. L’escalade des frais et les exigences perpétuellement changeantes relatives aux demandes ont rendu le système inutilisable pour ces Canadiens.

Voici ce que Joyce Reynolds a déclaré au comité :

En Alberta, où se trouve la majeure partie de nos membres qui se prévalent du Programme des travailleurs étrangers temporaires, l’étude des demandes peut prendre des mois.

Autre chose : le formulaire de demande a changé trois fois depuis juin. On présente une demande en payant les frais de 1 000 $. S’il y a un problème mineur dans la demande, on se la fait renvoyer. Il faut alors présenter une nouvelle demande et il faut payer de nouveau les 1 000 $. On ne peut même pas utiliser la même demande. Il faut utiliser un formulaire différent et reprendre tout le processus.

La situation était assez difficile lorsque les frais s’élevaient à 275 $. C’est devenu insupportable.

Honorables sénateurs, je conviens qu’il fallait apporter des modifications au Programme des travailleurs étrangers temporaires, mais, à mon avis, la section 24 du projet de loi C-43 témoigne de la réponse conçue précipitamment et hâtivement par le gouvernement pour régler le problème. On ne surveille et on ne comprend pas assez bien les conséquences que ces modifications auraient sur les Canadiens. Des Canadiens dépendent du programme pour leur survie ou leur qualité de vie, notamment les personnes âgées et les personnes handicapées qui ont besoin d’aidants. Je suis d’accord avec Gordon Maynard, lorsqu’il a qualifié les modifications proposées de « réaction très excessive ».

Ces frais de 1 000 $, que le gouvernement a imposés en juin, sont un fardeau énorme pour les personnes âgées ou les Canadiens handicapés qui ont un revenu fixe et qui cherchent à engager un travailleur étranger temporaire comme soignant. Ces frais sont encourus pour l’étude de la demande, qu’elle soit acceptée ou non. Si le travailleur n’accepte pas l’emploi pour quelque raison que ce soit, il faut présenter une nouvelle demande et payer encore une fois 1 000 $. J’estime que c’est injuste pour les personnes qui ont un revenu fixe. Il y a certainement moyen de prévoir des exceptions dans le programme.

Honorables sénateurs, le projet de loi C-43 est le plus récent projet de loi omnibus colossal du gouvernement et c’est un nouvel exemple de la façon dont il abuse de son pouvoir. Bien des mesures qui n’ont pas leur place dans un projet de loi d’exécution du budget et qui méritent d’être examinées et étudiées en profondeur individuellement.

Pour cette raison et pour les réserves que j’ai énoncées, en plus des objections que des témoins ont soulevées au sujet de ce projet de loi lors de l’étude au comité, je ne serai pas en mesure d’appuyer ce projet de loi.

 

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