Forum des sénateurs libéraux

Troisième lecture du projet de loi C-2, Loi modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances

Troisième lecture du projet de loi C-2, Loi modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances

Troisième lecture du projet de loi C-2, Loi modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances


Publié le 9 juin 2015
Hansard et déclarations par l’hon. Art Eggleton

L’honorable Art Eggleton :

Honorables sénateurs, je joins ma voix à celles de l’intervenant précédent et de plusieurs autres Canadiens qui nous demandent de repenser le projet de loi C-2, qu’on appelle la Loi sur le respect des collectivités.

Pardonnez-moi, mais, après avoir minutieusement étudié le projet de loi et avoir entendu de longs débats là-dessus, je n’arrive toujours pas à voir de quelles collectivités le projet de loi est censé assurer le respect. À l’heure actuelle, l’article 56 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances donne au ministre de la Santé la possibilité de soustraire les centres d’injection supervisée à l’application de la loi s’il estime que des raisons d’intérêt public, notamment des raisons médicales ou scientifiques, le justifient.

Sans cette exemption, les clients et le personnel s’exposeraient à des poursuites judiciaires pour possession de substances illégales.

Il est à noter que ces établissements ne sont pas là pour fournir de la drogue à leurs clients, mais pour offrir un lieu sécuritaire et aseptisé ainsi que des services d’aide pour ceux qui veulent cesser leur consommation. En cas de problème, ils offrent des services médicaux d’urgence. Ils sauvent des vies.

Vous savez tous qu’il n’y a actuellement qu’un seul établissement de ce genre au Canada qui bénéficie de cette exemption, c’est-à-dire le centre Insite, à Vancouver. Mes collègues qui ont pris la parole au sujet de ce projet de loi ont fait d’excellents discours expliquant les avantages que procure le centre Insite dans le quartier Downtown Eastside de Vancouver. J’aimerais seulement revenir sur quelques- uns de ces faits. Sur les 1 418 cas de surdose observés au centre Insite entre 2004 et 2010, il n’y a eu aucun décès, grâce à la surveillance efficace du personnel de l’établissement.

Le centre est parvenu à réduire les comportements, comme le partage de seringues, qui augmentent le risque de contracter le VIH. On a observé une augmentation du nombre de personnes ayant décidé de suivre une cure de désintoxication et une diminution des cas d’injection dans beaucoup d’endroits publics comme les parcs et les cages d’escalier. Cela se voit même autour du centre Insite, où la quantité de déchets liés aux injections a considérablement diminué.

Malgré les bienfaits que le centre Insite offre à la population de façon quotidienne, le projet de loi C-2 menace l’existence du centre, et il est presque certain qu’il empêchera la création de centres similaires à l’avenir. En vertu du projet de loi, les centres d’injection supervisée du Canada auraient plusieurs obstacles à surmonter au moment de demander une exemption aux termes de l’article 56 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.

Pour bien des gens, il n’est tout simplement pas logique d’essayer de faire obstacle à des services dont l’efficacité a été prouvée. La Cour suprême n’a certainement pas trouvé cela logique. Dans sa décision historique de 2011, elle a affirmé que le fait de refuser l’accès à ces services d’injection aurait des effets :

[…] exagérément disproportionnés par rapport aux avantages que le Canada pourrait tirer d’une position uniforme sur la possession de stupéfiants.

Selon la cour :

[…] il est démontré qu’Insite a sauvé des vies, sans avoir aucune incidence négative observable sur les objectifs du Canada en matière de sécurité et de santé publiques

Voilà ce qu’on peut lire dans la décision de la Cour suprême, une décision empreinte de respect pour les collectivités. Finalement, la cour a jugé que la fermeture d’Insite brimerait les droits des utilisateurs de ce centre et irait donc à l’encontre de la Charte.

Le gouvernement s’est immédiatement dit « déçu » de cette décision, mais déçu de quoi, exactement? Déçu que le centre ait sauvé des vies? Déçu de ne pas pouvoir enfreindre la Charte et bafouer les droits de personnes souffrant de dépendances dévastatrices?

Je doute que le nouveau projet de loi C-2 réponde aux critères prévus par la Cour suprême, laquelle conclura qu’il enfreint la Charte des droits et la Constitution. Je crois, en effet, que la nouvelle mesure se retrouvera devant la Cour suprême si on l’adopte dans sa version actuelle.

Honorables sénateurs, en vertu du projet de loi C-2, les organismes qui souhaitent gérer un site de consommation supervisée doivent fournir au ministre 26 éléments d’information pour qu’on prenne leur demande en considération. Vingt-six. L’Association du Barreau canadien a commenté cette exigence en ces termes :

Nous craignons que le projet de loi C-2 assujettisse les demandeurs à un processus de demande si rigoureux et à tant de nouvelles conditions qu’il sera pratiquement impossible d’établir de nouveaux centres d’injection sûrs ou de continuer à exploiter les centres existants.

Comme l’a souligné le sénateur Campbell, aucune autre clinique de santé n’est tenue de fournir autant de renseignements.

Je trouve particulièrement problématique la disposition selon laquelle il faudra soumettre au ministre une vérification du casier judiciaire des éventuels membres du personnel. Cette vérification des antécédents criminels porterait sur les 10 dernières années, une longue période. Si je me souviens bien, l’organisme Onsite, établi juste au-dessus d’Insite, offre du counselling et un soutien fourni par les pairs. Pour ceux qui veulent se libérer d’une dépendance, l’une des stratégies les plus efficaces consiste à profiter de l’expérience d’autres personnes qui ont réussi à s’en sortir. Il est fort probable que plusieurs de ces personnes auront, à un certain moment, été accusées d’une infraction liée à la drogue. Après tout, ils étaient eux- mêmes toxicomanes. Ils veulent maintenant aider les autres, mais leur dossier sera traité différemment en raison d’infractions relatives aux drogues qui remontent à un passé plus sombre — un passé, je tiens à le répéter, qu’ils ont surmonté avec courage.

Est-ce l’intention du gouvernement d’empêcher le counseling entre pairs, qui s’est révélé si efficace pour surmonter la toxicomanie? Est- ce son intention? Pour quelle raison le ministre, plus que quiconque, a-t-il besoin de ce genre de renseignements personnels?

Honorables sénateurs, mon collègue, le sénateur Campbell, a donné un excellent aperçu de la situation dans sa ville de résidence, Vancouver, et du bon travail qu’Insite accomplit là-bas. J’aimerais vous parler de la situation dans ma ville, Toronto.

En 2013, le médecin hygiéniste de Toronto a publié un rapport demandant des centres comme Insite à des endroits précis dans la ville. À l’heure actuelle, Toronto a un réseau impressionnant de centres de services qui facilitent l’échange de seringues. Grâce à ces centres, les toxicomanes peuvent échanger leurs seringues usagées contre des seringues propres. Selon ce rapport, en 2010 seulement, 75 000 toxicomanes ont visité ces centres de services, et 1,1 million de seringues ont été distribuées avec d’autres matériels d’injection stériles. Tout cela en une seule année, je le répète.

Ces centres ne fonctionnent pas comme Insite. Ils ne peuvent pas faciliter les injections supervisées. Les toxicomanes y obtiennent des seringues avant de trouver un autre endroit où s’injecter. S’ils ne se rendent pas chez eux ou dans un refuge, ils disent qu’ils s’injectent dans des cages d’escalier, des ruelles ou dans des toilettes publiques.

À Toronto, le programme d’échange de seringues a permis d’accomplir un excellent travail de distribution de seringues stériles en vue de réduire le nombre de maladies et de décès, mais il ne peut pas faire grand-chose pour sauver la vie d’un toxicomane qui meurt d’une surdose dans une cage d’escalier, dans une ruelle ou dans une toilette publique.

Dans la région de Toronto, il ne reste plus grand-chose à faire sinon que de ramasser les seringues contaminées sur les pelouses et dans les cages d’escalier.

C’est pour cette raison que le rapport du médecin hygiéniste de 2013 recommande la mise en place de services d’injection supervisée aux endroits qui facilitent déjà la distribution de seringues propres. Au lieu d’aller se chercher une seringue propre et de s’en aller, les toxicomanes pourraient se faire une injection dans un environnement qui les protège et protège le voisinage.

Honorables sénateurs, comme le savent certains d’entre vous, je suis le responsable d’un groupe de travail de Toronto qui a pour mission d’améliorer les logements sociaux. Comme vous vous en doutez, beaucoup de ces logements sont occupés par des toxicomanes. De plus, comme vous le savez probablement, les logements sociaux accueillent aussi un grand nombre de familles — des gens qui ont beaucoup d’enfants. Pour dire les choses simplement, l’argument selon lequel un centre d’injection supervisée attirerait des toxicomanes dans une communauté ne tient pas la route. Les drogues sont déjà là.

La question qu’il faut se poser est la suivante : un enfant est-il plus en sécurité lorsque le voisin se fait une injection dans la cage d’escalier de l’immeuble ou dans un centre d’injection supervisée au bout de la rue?

Le gouvernement veut vous faire croire que des centres d’injection comme Insite encouragent la consommation de drogues et qu’ils attirent les toxicomanes dans les quartiers où ces services sont offerts. La seule raison qui puisse expliquer l’existence du projet de loi C-2, c’est qu’Insite et d’autres centres semblables à l’étranger sont des exemples qui vont tout à fait à l’encontre de la perception du gouvernement selon laquelle les toxicomanes sont des criminels et qu’ils doivent être traités comme tels.

Comme ils ne peuvent pas nier les faits fondés sur des préceptes juridiques ou scientifiques, les conservateurs s’en remettent à la désinformation en suggérant que de tels centres pourraient voir le jour « près de chez nous ».

Il y a à peine quatre jours, le ministre de la Justice a affirmé que le gouvernement voulait focaliser ses efforts sur le traitement des toxicomanes et non pas rendre « plus disponibles des drogues souvent illégales ». Il répondait en cela à la Ville de Montréal, qui venait d’annoncer son intention d’ouvrir ses propres centres d’injection supervisée. Une telle déclaration de la part du ministre traduit une compréhension profondément erronée du rôle que jouent ces centres.

Honorables sénateurs, si nous empêchons ces collectivités de se servir d’un outil comme Insite pour transformer une situation qui est dangereuse à l’heure actuelle, nous leur manquerons de respect. Cela ne ferait qu’augmenter le nombre de décès et de maladies qui surviennent déjà trop souvent au sein de ces collectivités. Les services d’injection supervisée réduisent le nombre d’aiguilles contaminées qui jonchent les rues. Ils permettent d’offrir des services d’aide aux toxicomanes qui demandent de l’aide et, plus important encore, ces services sauvent des vies. Voulez-vous bien me dire pourquoi nous devrions refuser ces services aux collectivités qui en ont grandement besoin?

Nous devons respecter ces collectivités. Je vous demande de voter en faveur de l’amendement que le sénateur Campbell vient tout juste de proposer. Grâce à celui-ci, le projet de loi sera raisonnable. Si l’amendement n’est pas adopté, le projet de loi devrait être rejeté.

L’honorable Serge Joyal : Honorables sénateurs, j’aimerais poser une question au sénateur Eggleton. Je suis désolé de ne pas l’avoir informé de la teneur de ma question plus tôt mais, comme il a été maire de Toronto, je crois qu’il sera en mesure d’y répondre.

Il y a environ deux semaines, le maire de Montréal a fait une déclaration publique en compagnie d’un représentant de l’équipe du Service de police de la Ville de Montréal responsable des problèmes de toxicomanie. Il a dit qu’il approuverait la création d’un centre d’injection supervisée s’il obtenait l’autorisation du ministre de la Santé de la province. Il a affirmé qu’il irait de l’avant sans l’autorisation de la ministre de la Santé du gouvernement fédéral puisqu’il devrait attendre longtemps pour l’obtenir. Cela signifie que, si le gouvernement provincial autorise l’ouverture d’un centre d’injection et que le maire et les forces policières sont d’accord, Montréal pourrait contourner la procédure proposée dans le projet de loi C-2.

Étiez-vous au courant?

Le sénateur Eggleton : Vous venez tout juste de me l’apprendre.

Si tous ces intervenants ont évalué ce que l’ouverture d’un tel centre pourrait avoir comme incidence sur la ville et qu’ils sont d’accord — cela semble être le cas, d’après ce que vous me dites —, j’estime que le projet devrait être lancé. Reste à voir si cela est possible et dans quelle mesure le gouvernement fédéral pourrait intervenir sur le plan juridique. Je l’ignore, et vous le savez sans doute mieux que moi.

Le sénateur Joyal : Je suis désolé, mais je n’ai pas eu le temps de me pencher là-dessus, car je préparais un autre dossier. Je tente de comprendre la logique en cause étant donné que l’on propose de modifier le Code criminel. Ce n’est pas rien. Le Code criminel s’applique d’un bout à l’autre du Canada et devrait être interprété de la même façon d’un bout à l’autre du Canada. Revient-il à l’autorité provinciale responsable des mises en accusation d’informer le directeur des poursuites pénales de ne pas s’attaquer à un établissement présumément illégal où l’on consomme de la drogue? Peut-être est-ce le moyen de contourner le processus qu’instaurerait le projet de loi C-2.

Le sénateur Eggleton : Eh bien, c’est tout à fait possible. Il y a un autre dossier — qui m’échappe — dans lequel le gouvernement du Québec a décidé qu’il n’engagerait aucune poursuite. Ce serait une façon inusitée de mettre cette façon de faire à l’épreuve.

La santé relève des provinces, alors si le ministre de la Santé estime que le centre d’injection devrait ouvrir ses portes, d’autant plus qu’il jouit du soutien bienveillant du maire de Montréal, du service de police et d’autres intervenants, alors, oui, peut-être qu’il pourrait procéder ainsi. Pour ce qui est des ramifications légales ultimes de la situation, peut-être que le gouvernement fédéral reculerait. Je l’espère, d’ailleurs.

 

 

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