Canada's Original Think Tank

Rapport du Comité mixte permanent d’examen de la réglementation, intitulé Accessibilité des documents incorporés par renvoi dans les règlements fédéraux — Réplique à la Réponse du Gouvernement au 2e rapport du Comité

Rapport du Comité mixte permanent d’examen de la réglementation, intitulé Accessibilité des documents incorporés par renvoi dans les règlements fédéraux — Réplique à la Réponse du Gouvernement au 2e rapport du Comité

Rapport du Comité mixte permanent d’examen de la réglementation, intitulé Accessibilité des documents incorporés par renvoi dans les règlements fédéraux — Réplique à la Réponse du Gouvernement au 2e rapport du Comité

L’honorable Joseph A. Day (leader des libéraux au Sénat) propose que le rapport soit adopté.

— Honorables collègues, il est question d’un examen de la réglementation qui est en cours depuis un certain temps. Les sénateurs qui siègent au Comité mixte permanent d’examen de la réglementation — je vois quelques collègues qui sont au courant de la situation — savent que la question semble traîner depuis très longtemps. C’est inexcusable. Dans ce rapport, on demande l’adoption des conclusions qui y sont consignées et on demande que la ministre responsable soit tenue de fournir une réponse exhaustive à des questions qui touchent le public de très près.

Je vais vous donner un peu de contexte dans un domaine que nous n’étudions pas très souvent, c’est-à-dire les dispositions réglementaires par opposition aux dispositions législatives.

Au début de notre vie, nous avons tous appris que l’ignorance de la loi ne constitue pas une excuse valable. Cet adage juridique remonte au droit romain, en fait. Il figure dans nos propres lois. Par exemple, l’article 19 du Code criminel prévoit que « [l]’ignorance de la loi chez une personne qui commet une infraction n’excuse pas la perpétration de l’infraction ».

Ce principe s’applique non seulement aux lois du Canada, qui ont toutes été débattues et adoptées par les deux Chambres. Il s’applique aussi avec la même force aux règlements adoptés par les ministères. Ces règlements sont pris par le gouvernement en fonction des pouvoirs que nous conférons dans les projets de loi que nous adoptons au Parlement. Par exemple, nous avons longuement étudié le projet de loi C-45, la mesure législative sur le cannabis. Il contient des annexes pouvant être modifiées par le gouvernement grâce au pouvoir de réglementer que nous lui donnons dans le projet de loi.

Par exemple, le paragraphe 151(1) du projet de loi C-45 dit ce qui suit :

Le gouverneur en conseil peut, par décret, modifier les annexes 1 ou 2 par adjonction ou par suppression de tout ou partie d’un article.

Dans les deux annexes figure une liste de ce qui est et ce qui n’est pas considéré comme du cannabis. Le gouvernement peut modifier ces annexes ou listes de produits sans avoir à demander l’accord des parlementaires.

Les Canadiens sont censés savoir ce que contiennent ces annexes, même lorsqu’elles sont modifiées en douce par règlement. Le fait d’ignorer la loi n’est pas une excuse valable pour enfreindre un règlement. Ce principe a été clairement énoncé dans la décision que la Cour suprême du Canada a rendue en 1980 dans l’affaire R. c. Molis. M. Molis était copropriétaire d’une entreprise qui exploitait un laboratoire. En 1975, il a commencé à produire une drogue connue sous le nom de MDMA. À l’époque, cette drogue ne figurait pas dans la liste des drogues d’usage restreint à l’annexe H de la Loi sur les aliments et drogues, mais, en juin de l’année suivante, elle a été ajoutée à l’annexe par voie de règlement, et la modification a été publiée dans la Gazette du Canada. Deux mois plus tard, M. Molis a été arrêté, accusé et reconnu coupable de trafic d’une drogue d’usage restreint.

Pendant son procès, il a déclaré ignorer que cette drogue avait été ajoutée à l’annexe H. Il a demandé au juge de présenter des éléments de preuve montrant qu’il avait tenté de savoir s’il avait légalement le droit de fabriquer de la MDMA et qu’il avait été aussi rigoureux que possible. Le juge a rejeté sa requête en ces termes :

[…] l’ignorance de l’accusé quant à l’état de la loi, des règlements et de l’annexe pendant toute la période mentionnée dans l’acte d’accusation, ne constitue pas un moyen de défense, et […] la preuve que l’on veut produire pour démontrer cette ignorance et toutes les mesures que l’accusé a prises pour connaissance de la loi, est irrecevable.

M. Molis a fait appel, mais la Cour d’appel de l’Ontario a conclu que « [l]e juge du procès n’a pas commis d’erreur en refusant de soumettre au jury la défense d’ignorance de la loi ». M. Molis s’est ensuite adressé à la Cour suprême du Canada, qui l’a finalement débouté à l’unanimité.

S’exprimant au nom des autres juges, le juge Lamer a passé en revue les faits en cause. Quand est venu le temps de déterminer si l’ignorance de la loi peut constituer une défense légitime contre une accusation criminelle, il a simplement écrit que, à son avis, « ce moyen de défense n’existe pas ».

Chers collègues, tous les Canadiens sont donc présumés être au courant de la loi, ce qui englobe les règlements et les mesures législatives que nous adoptons ici. Ils sont punis s’ils enfreignent la loi, et il est donc logique qu’ils aient aisément accès à la loi. Ils devraient pouvoir consulter toute la documentation ou les publications leur permettant de connaître la loi à laquelle ils sont censés obéir.

Depuis quelques années déjà, le Comité mixte permanent d’examen de la réglementation cherche à déterminer si les Canadiens peuvent, moyennant un effort raisonnable, se renseigner sur l’ensemble des lois fédérales issues du processus réglementaire. Il s’est notamment intéressé à ce qu’on appelle l’« incorporation par renvoi ». Grâce à ce procédé, un document ou une liste en particulier sont réputés faire partie d’un règlement donné même s’ils n’y sont pas joints physiquement. Il s’agit, la plupart du temps, d’un document ou d’une liste créés par un tiers hors de l’appareil gouvernemental.

Permettez-moi de vous donner un exemple. Transports Canada dispose d’un règlement détaillé sur le transport des marchandises dangereuses. Ce règlement porte notamment sur les bouteilles à gaz cylindriques pour le propane et il contient même une disposition spéciale sur les bouteilles de ce genre utilisées dans les montgolfières. L’article 1.50 du règlement prévoit que les règles normales régissant le transport des bouteilles à gaz cylindriques pour le propane ne s’appliquent pas si ces bouteilles sont utilisées dans une montgolfière, à condition qu’elles soient fabriquées, sélectionnées et utilisées conformément à la norme CSA B340, à l’exception de l’article 5.3.1.4 de cette norme. On s’attend à ce que les citoyens canadiens se conforment à ce règlement.

Le citoyen pourrait donc se demander : « En quoi consiste la norme CSA B340 et que dit l’article 5.3.1.4? » L’acronyme CSA désigne l’Association canadienne de normalisation. Cette association élabore des normes dans 57 domaines et elle se compose de représentants de l’industrie, du gouvernement et de groupes de consommateurs. La norme CSA B340 est un document de 70 pages, qui s’intitule « Sélection et utilisation de bouteilles à gaz cylindriques et sphériques, tubes et autres contenants pour le transport des marchandises dangereuses ».

Tout le document a été intégré au Règlement sur le transport des marchandises dangereuses. Il a force de loi, et nous sommes tous censés nous y conformer. Il doit être respecté, mais il n’est pas possible de l’obtenir auprès du gouvernement. Il n’est même pas disponible en ligne. Le seul endroit où on peut l’obtenir, c’est sur le site web de l’Association canadienne de normalisation, au coût de 157 $. À moins que je sois prêt à payer 157 $, je ne peux même pas vous dire ce que contient ce document.

D’autres règlements du gouvernement renvoient à des documents que d’autres associations ou groupes ont créés. Par exemple, Transports Canada a aussi des règlements sur les sonomètres. Ces instruments doivent se conformer aux spécifications contenues dans un document intitulé « Norme internationale CEI 61672-1:2002 ». Il est possible de l’obtenir auprès de la Commission électrotechnique internationale, dont les bureaux se trouvent à Genève, en Suisse. Il est possible de se procurer le document sur le site web de la commission, au coût de 240 dollars américains. Est-il raisonnable de demander à un citoyen canadien de payer un tel prix à un organisme étranger afin de se conformer à la loi canadienne? C’est la question que vous devriez poser.

Le Comité mixte permanent de l’examen de la réglementation a décelé d’autres problèmes, dont le fait que, dans bien des cas, les documents intégrés dans des règlements ne sont pas publiés dans les deux langues officielles.

Par exemple, Environnement et Changement climatique Canada a des règlements régissant les tests de produits pétroliers. Ces règlements renvoient au document D3231-13, intitulé « Standard Test Method for Phosphorus in Gasoline ». On peut l’obtenir auprès d’ASTM International, située en Pennsylvanie, aux États-Unis, pour 46 $ américains, mais il est en anglais seulement.

Le rapport du Comité mixte permanent d’examen de la réglementation met en doute le fait que les documents incorporés dans les règlements par renvoi soient vraiment accessibles à tous les Canadiens s’ils sont disponibles dans une seule langue, et pose la question de savoir si le montant qu’ils doivent payer pour connaître la loi est raisonnable. Le comité a été incapable de déterminer les critères que les divers ministères appliquent afin de répondre aux questions suivantes : le document est-il bilingue, ou pouvons-nous le traduire? Qu’en est-il des coûts? Devrait-on payer 1000 $ ou 200 $ pour obtenir un document? Il semble n’y avoir aucune norme.

Chers collègues, je vous exhorte à jeter un coup d’œil à ce rapport, dans lequel vous trouverez l’historique du dossier. C’est la deuxième fois que nous présentons cette question à la ministre de la Justice. La première fois, la ministre ne semblait pas émue par nos inquiétudes. Nous avons convoqué des représentants au comité, puis, à la suite de ces comparutions, nous avons produit un rapport. Vous en êtes actuellement saisis. Les recommandations se trouvent dans ce quatrième rapport. Plus important encore — ou tout aussi important —, nous demandons à la ministre de la Justice de nous donner une réponse satisfaisante relativement à ces questions.

Par exemple, l’une des recommandations demande que le gouvernement étudie les moyens de réduire l’incorporation par renvoi de documents unilingues ou payants dans les règlements fédéraux — la norme devrait être de réduire cette pratique à un strict minimum — et établisse une directive applicable à l’ensemble des autorités réglementaires soulignant les diverses exigences que je viens de mentionner. L’une de ces exigences, c’est que l’autorité réglementaire justifie, à même le Résumé d’étude d’impact de la réglementation qui accompagne le règlement, son utilisation d’un document qui n’est pas bilingue ou qui n’est pas gratuit.

C’est le genre de recommandations que nous faisons. J’ai passé du temps à vous expliquer les motivations de ces recommandations pour que vous puissiez comprendre ce domaine du droit dont on ne parle pas souvent — certainement pas au Sénat ou même ailleurs. Nous avons certains collègues qui siègent à ce comité, et c’est une partie importante du travail que doit faire le Parlement. Lorsque nous adoptons un projet de loi au Sénat, on voit souvent les différentes dispositions qui stipulent que, par exemple, le gouverneur en conseil, le ministre ou le Cabinet peuvent déterminer, par renvoi ou par un autre moyen, certains règlements. Cela demeure une partie importante de la surveillance que nous devons exercer.

Honorables sénateurs, j’espère que vous appuierez le comité en ce qui a trait à ce rapport en particulier. Dans le cadre du rapport, nous demandons à la ministre de réagir avec des actions concrètes, dans le délai prévu dans le Règlement. Merci, honorables sénateurs.