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Projet de loi C-45, Projet de loi sur le cannabis

Projet de loi C-45, Projet de loi sur le cannabis

Projet de loi C-45, Projet de loi sur le cannabis

L’honorable Mobina S.B. Jaffer : 

Honorables sénateurs, j’interviens, moi aussi, au sujet du projet de loi C-45, Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres lois.

Je tiens à remercier tous les sénateurs qui ont participé au vaste débat sur le projet de loi C-45 dans le but de favoriser la création d’un marché du cannabis à la fois sécuritaire, équitable et bien réglementé au Canada. Je tiens particulièrement à remercier le sénateur Dean de son travail dévoué, ainsi que le sénateur Eggleton et le Comité des affaires sociales, qu’il préside, pour leur travail assidu dans ce dossier. Ils nous ont aidés à mieux cibler les enjeux, et je les en remercie.

Je n’ai pas l’intention de revenir sur de nombreuses questions qui ont été abordées, car nous en avons longuement discuté. Je veux cependant contribuer au débat sur les répercussions qu’aura le projet de loi C-45 à la frontière entre le Canada et les États-Unis.

Au lieu de discuter de la question sous l’angle du commerce ou des relations diplomatiques, je veux traiter de la nécessité d’une vaste campagne de sensibilisation sur ce qui est légal et ce qui ne l’est pas pour les Canadiens qui traversent la frontière canado-américaine.

Il n’est pas exagéré de dire qu’une grande partie des Canadiens ne savent pas ce qui sera légal aux États-Unis après l’adoption du projet de loi C-45. En fait, des Britanno-Colombiens me posent des questions à ce sujet pratiquement chaque jour.

Certains se demandent s’ils peuvent consommer du cannabis dans les États où il a été légalisé, comme dans l’État de Washington, ou s’ils peuvent transporter du cannabis du Canada vers les États-Unis, afin d’en consommer avec des amis dans un État où la substance est désormais permise.

Chaque fois qu’on me pose ce genre de questions, mon inquiétude grandit. Beaucoup de Canadiens ne connaissent tout simplement pas les dispositions législatives de base concernant la possession et la consommation de cannabis aux États-Unis.

C’est inacceptable. D’abord et avant tout, il faut clairement communiquer que, malgré le fait que le cannabis sera légal au Canada après l’adoption du projet de loi et bien qu’il soit déjà légalisé dans certains États américains, la consommation et la possession de la marijuana au-delà de la frontière auront de graves conséquences tant que les lois fédérales des États-Unis interdiront le cannabis.

Dans la plupart des cas, l’infraction de ces lois fait perdre à tout jamais le droit de se rendre aux États-Unis. Regagner le droit d’entrer aux États-Unis après avoir été frappé d’une telle interdiction exige une demande de levée d’interdiction de territoire, un processus très long et coûteux.

Honorables sénateurs, je sais que vous serez d’accord avec moipour dire qu’il faut empêcher que cela arrive aux Canadiens. Pour bon nombre de Britanno-Colombiens, se faire interdire l’entrée aux États-Unis serait dévastateur. Traverser la frontière est presque un mode de vie pour plusieurs d’entre eux.

Juste pour vous donner une idée du nombre de Britanno-Colombiens qui traversent la frontière, le poste frontalier de Peace Arch à Surrey, en Colombie-Britannique, se classe troisième au Canada de par son volume d’activité. Chaque jour, 4 800 voitures y passent pour voyager entre Seattle et Vancouver.

Ces gens doivent pouvoir se rendre aux États-Unis pour pratiquement toutes les raisons possibles, que ce soit pour rendre visite à des amis et à des membres de leur famille ou pour trouver un endroit où faire des achats ou manger. Pour des Britanno-Colombiens, c’est même essentiel à leur carrière. Ils représentent avec fierté le Canada aux États-Unis, que ce soit dans le secteur manufacturier, le domaine de la santé, les milieux de l’éducation et des sciences ou le domaine universitaire. Si des Britanno-Colombiens sont interdits de territoire aux États-Unis, ils devront changer complètement leur mode de vie.

Le gouvernement doit agir de manière proactive pour renseigner les Canadiens au sujet des lois visant les passages transfrontaliers. Malgré le besoin urgent de mener une campagne de sensibilisation, le gouvernement ne prend pas les mesures nécessaires pour que les Canadiens soient bien renseignés. Au Comité de la défense, lorsque j’ai demandé aux fonctionnaires de l’Agence des services frontaliers du Canada ce que le gouvernement compte faire pour sensibiliser les Canadiens au sujet de ce qui les attend à la frontière, ils m’ont seulement dit qu’on installera des panneaux dans les aéroports d’ici le printemps 2019. Honorables sénateurs, je vous dis que c’est trop tard. Pire encore, nous n’avons pratiquement rien entendu sur les efforts de sensibilisation à l’extérieur des aéroports. Autrement dit, les milliers de Britanno-Colombiens qui traversent la frontière terrestre tous les jours ne seront pas du tout informés.

C’est tout simplement insuffisant. Si les Canadiens ont des questions sur ces lois, le gouvernement a le devoir de s’assurer qu’ils pourront obtenir les réponses. Malheureusement, les Canadiens n’obtiennent pour le moment que des réponses contradictoires. Par exemple, selon le gouvernement, après l’adoption du projet de loi C-45, si une personne admet ouvertement à un agent frontalier qu’elle a déjà consommé du cannabis, le pire qui pourra lui arriver, c’est qu’on lui refuse l’accès à la frontière. Or, non seulement cette personne se verra refuser l’accès à la frontière, mais on lui interdira pour toujours d’entrer aux États-Unis.

En effet, selon des témoins ayant comparu devant le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, il y a un risque élevé que les Canadiens qui admettent avoir consommé du cannabis soient interdits de territoire à vie aux États-Unis.

Ce manque de clarté m’inquiète beaucoup. Je crains que les Canadiens ne puissent facilement être interdits de territoire aux États-Unis parce que nous ne les renseignons pas sur un ensemble de lois antidrogue complexes. Pour mettre en perspective la complexité de ces lois, je vais énumérer certaines choses que les Canadiens pourraient faire qui entraîneraient leur bannissement à vie des États-Unis. Si vous admettez avoir consommé du cannabis par le passé, vous pourriez être bannis à vie. Si vous décidez de travailler avec une entreprise canadienne œuvrant légalement dans le secteur du cannabis, vous pourriez non seulement être bannis à vie, mais aussi être détenus pour association au trafic de drogue. Si vous déclarez publiquement à la télévision ou sur les médias sociaux que vous avez déjà consommé du cannabis, vous pourriez être bannis à vie. De surcroît, si vous passez par une zone de précontrôle, on peut vous forcer à répondre à des questions sur votre consommation antérieure de cannabis et vous bannir à vie, selon votre réponse. En fait, vous pouvez même être interdits de territoire à vie si vous êtes parents d’une personne qui a commis une infraction liée aux drogues, puisqu’on considérera que vous avez bénéficié du trafic de drogue.

Ces répercussions ne sont pas immédiatement perceptibles pour les Canadiens à l’heure actuelle. Le Comité de la défense en a seulement pris conscience après avoir entendu le témoignage d’experts qui ont de vastes connaissances sur cette question.

Dans cette optique, j’aimerais que vous imaginiez tous à quel point cette situation serait difficile pour la majorité des Canadiens. Il est fort probable qu’ils ne seront jamais au courant de ces lois, ce qui est tout simplement inacceptable. Si les Canadiens doivent être exposés à de tels risques, ils doivent en être informés avant de traverser la frontière américaine.

J’aimerais parler d’un cas particulièrement inquiétant pour montrer la gravité des conséquences auxquelles les Canadiens s’exposent. En 1998, Ross Rebagliati fait la fierté du Canada lorsqu’il décroche une médaille d’or olympique en surf des neiges. Toutefois, de retour à la maison, il apprend qu’il lui est interdit à vie de se rendre aux États-Unis. Lorsqu’il demande les raisons de cette interdiction, Ross découvre qu’elle est justifiée par son admission, au Jay Leno Show, d’avoir déjà fumé du cannabis. Encore aujourd’hui, Ross doit régulièrement présenter une demande de levée d’interdiction. Actuellement, il dispose d’une dérogation d’une durée de trois ans pour entrer aux États-Unis. Toutefois, il doit régulièrement demander ce type d’autorisation. Le simple fait d’en parler une seule fois lui a valu une interdiction d’entrée au pays pour le reste de sa vie. Voilà ce qui est en jeu pour les Canadiens qui traverseront la frontière après l’adoption du projet de loi C-45.

Heureusement, ce problème peut être réglé sans modifier le projet de loi C-45. Je ne présenterai donc pas d’amendement. J’exhorte plutôt le gouvernement à lancer une vaste campagne de sensibilisation afin que tous les Canadiens soient au courant de ce qui les attend à la frontière. Cette campagne doit être menée maintenant. Chaque jour où nous n’informons pas les Canadiens est un jour où ils risquent d’avoir des problèmes avec les forces policières américaines et d’être frappés d’une interdiction à vie de traverser la frontière.

Les Canadiens doivent savoir que le cannabis est illégal à l’échelle fédérale aux États-Unis, peu importe s’il est légal ici ou dans certains États. Ils doivent connaître les diverses lois complexes qui peuvent faire en sorte qu’ils soient bannis à vie des États-Unis. Ils doivent aussi être informés de leurs droits. Ils doivent connaître les options dont ils disposent, notamment de quitter un point d’entrée au lieu de répondre à des questions. Ils pourraient ne pas pouvoir aller aux États-Unis cette journée-là, mais c’est de loin préférable à une interdiction à vie.

Honorables sénateurs, bien que j’appuie les dispositions du projet de loi C-45, je vous invite à vous joindre à moi pour demander au gouvernement d’adopter une position beaucoup plus proactive dès maintenant pour veiller à ce que les Canadiens soient conscients de ce qui les attend au moment de franchir la frontière américaine.

Les cas comme celui de Ross ne sont pas isolés. Lors de l’étude au comité, nous avons entendu plusieurs avocats dont les clients ont vécu des expériences similaires. À moins que le gouvernement agisse dès maintenant, davantage de Canadiens seront interdits de séjour aux États-Unis et obligés de changer de mode de vie. Or, ce n’est pas seulement une question de changement de mode de vie; ces gens ne pourront plus voir leurs proches. Comme nous le savons tous, nombreux sont les Canadiens et les Américains qui ont de la famille dans l’autre pays.

Je prie donc le gouvernement de lancer une vaste campagne de sensibilisation pour informer les Canadiens du fait que le cannabis, même s’il est légal, par exemple, en Colombie-Britannique et dans l’État de Washington, ne l’est pas au niveau fédéral aux États-Unis. Nous devons veiller à ce que les Canadiens le sachent dès maintenant. Merci.