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Modernisation du Sénat—Dixième rapport du comité spécial

Modernisation du Sénat—Dixième rapport du comité spécial

Modernisation du Sénat—Dixième rapport du comité spécial

Modernisation du Sénat—Dixième rapport du comité spécial


Publié le 28 mars 2017
Hansard et déclarations par l’hon. Serge Joyal

L’honorable Serge Joyal :

Honorables sénateurs, je vais poursuivre l’intervention que j’avais commencée il y a quelque temps. Étant donné que j’avais demandé que le débat soit ajourné à mon nom et que, conformément au Règlement du Sénat, on ne peut pas le demander deux fois, je me vois aujourd’hui dans l’obligation de terminer mon intervention.

Je rappelle aux honorables sénateurs que le dixième rapport traite de la recommandation du Comité spécial sur la modernisation pour que le Comité du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement revoie le Règlement du Sénat, le Règlement administratif et les usages du Sénat pour faire en sorte qu’ils reflètent de façon plus fidèle le rôle constitutionnel du Sénat et le devoir constitutionnel de chaque sénateur. Cependant, bien sûr, pour examiner le Règlement, il faut disposer de certains objectifs si on veut pouvoir en arriver à une conclusion après avoir analysé les diverses règles et procédures qui nous régissent, comme le Règlement, le Règlement administratif et les pratiques du Sénat. Donc, la première question est la suivante : quel est le rôle du Sénat? Quel est le rôle d’un sénateur?

Honorables sénateurs, contrairement à l’autre endroit, nous avons pu bénéficier de la sagesse de la Cour suprême du Canada à deux reprises au cours des 30 dernières années. La première fois, ce fut à la suite d’un renvoi du Sénat pendant les années 1980. J’avais d’ailleurs oublié que, à l’époque, j’avais participé, à l’autre endroit, à la discussion qui avait mené à ce renvoi. Le gouvernement de l’époque avait présenté le projet de loi C-60, qui visait une refonte complète de l’institution. Des provinces et certains constitutionnalistes s’y étaient opposés, arguant que, pour ce faire, le Parlement du Canada devait obtenir l’appui des provinces.

Il y a eu un débat très animé au Comité des affaires juridiques et constitutionnelles en 1979, et le gouvernement de l’époque a décidé de renvoyer le dossier devant la Cour suprême du Canada. La Cour suprême a donc rendu un premier jugement en 1980.

Qu’est-ce que la Cour suprême avait à dire au sujet de la relation entre le Sénat et les Communes en 1980? Car c’était bien là le cœur de la question : quel est le rôle du Sénat par rapport à celui de la Chambre des communes, étant donné que ces deux Chambres composent le Parlement? En fait, c’est assez clair si on lit l’article 17 de la Constitution :

Il y aura, pour le Canada, un parlement qui sera composé de la Reine, d’une Chambre haute appelée le Sénat, et de la Chambre des Communes.

Le Sénat est donc tout autant une partie intégrante du Parlement que la Chambre des communes.

En fait, à l’article 95, ou plutôt 91 de la Constitution qui invoque l’autorité législative du Parlement du Canada, on peut lire ceci :

Il sera loisible à la Reine, de l’avis et du consentement du Sénat et de la Chambre des Communes […]

Autrement dit, l’avis et le consentement du Sénat sont tout aussi valables que ceux de la Chambre des communes. Il est tout aussi nécessaire de les obtenir pour faire adopter un projet de loi. Le Sénat est une assemblée législative, faisant partie d’un Parlement bicaméral, qui joue le même rôle et possède les mêmes pouvoirs que la Chambre des communes en ce qui a trait aux mesures législatives.

Y a-t-il d’autres caractéristiques qui distinguent les deux Chambres? Oui, si je me fie de nouveau à la décision rendue en 1980 par la Cour suprême du Canada. Quelle est la distinction essentielle entre le Sénat et l’autre endroit? La réponse est très simple. Nous sommes la Chambre du Parlement qui incarne le principe fédéral.

Vous vous rappellerez que les Pères — ou, pour utiliser une expression plus féministe, « les artisans » — de la Confédération avaient eu initialement de la difficulté à déterminer comment concilier les intérêts d’une majorité élue qui, en 1867, se trouvait en Ontario, avec ceux des plus petites régions, à savoir le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse, et ceux du Québec, que distinguait la langue et la religion . Comment tenir compte des intérêts de la population majoritairement protestante de l’Ontario, tout en prenant en considération les caractéristiques linguistiques uniques du Québec et, bien sûr, de la situation économique distincte des deux provinces maritimes?

Je tiens à préciser, en passant, que l’Île-du-Prince-Édouard avait initialement refusé d’entrer dans la Confédération. Contrairement aux quatre autres provinces, elle ne figurait pas sur le drapeau original. Elle ne figurait pas non plus sur la médaille originale de 1867.

Je sais qu’un projet de loi sur le berceau de la Confédération est à l’étude, mais je ferai respectueusement remarquer que l’Île-du-Prince-Édouard ne faisait pas partie des artisans d’origine qui ont mené à l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867. Nous pouvons bien réfléchir au rôle de l’Île-du-Prince-Édouard, mais, ce faisant, nous devrons veiller à citer correctement l’histoire. Je dis cela avec le plus grand respect pour la sénatrice Hubley, notre collègue le sénateur Downe et la nouvelle sénatrice de l’Île-du-Prince-Édouard. Je n’étais pas à la Chambre lorsque ce projet de loi a été débattu. J’étais occupé à l’extérieur. Cela dit, une autre occasion se présentera ultérieurement. Je ferme la parenthèse.

Autrement dit, lorsque les artisans de la Confédération, à l’origine, ont été appelés à de débattre de l’idée de créer un pays uni avec une majorité élue, des provinces au poids économique et financier différent, et des provinces aux caractéristiques linguistiques et religieuses différentes, ils ont conclu que la seule solution était d’avoir une assemblée sénatoriale divisée proportionnellement entre les trois régions, reconnaissant qu’elle compterait un représentant des minorités protestantes au Québec, et que les sièges y seraient précisément attribués pour maintenir le droit de ces minorités de prospérer selon leur identité. Ils ont conclu que la seule manière d’avoir une Chambre du Parlement représentant les régions et les minorités linguistiques et religieuses de l’époque était de créer le Sénat tel que nous le connaissons.

Le Sénat est très différent de l’autre endroit, non seulement parce que les sénateurs ne sont pas élus alors que les députés le sont, mais aussi parce que nous sommes nommés, et nous sommes nommés différemment. Nous sommes nommés par l’entremise d’une commission royale. Autrement dit, nous ne relevons pas d’un mandat démocratique. Notre nomination découle de la prérogative de la souveraine, qui à l’époque était la reine Victoria, représentée par le gouverneur général du Canada. La nomination est faite sur la recommandation du premier ministre. Toutefois, si le Sénat est une Chambre structurée différemment qui détient les mêmes pouvoirs législatifs que les Communes, comment pouvons-nous concilier l’utilisation de ce pouvoir et la volonté démocratique de l’autre endroit? Autrement dit, comment pouvons-nous utiliser nos pouvoirs?

Il s’agit en fait de se demander quels sont ces pouvoirs. Eh bien, c’est simple : nous avons le pouvoir de donner notre avis et notre consentement. Nous pouvons donc dire « oui », ce qui revient à approuver, ou dire « non » pour exprimer notre désapprobation. Ultimement, dire « non » constitue un veto et peut entraîner la mort d’un projet de loi. C’est arrivé à quelques occasions. Je vais dire plus tard à combien de reprises cela s’est produit et pour quels motifs.

Le pouvoir d’approuver ou de rejeter implique le pouvoir de négocier. En effet, avant de rejeter un projet de loi, nous pouvons faire changer les choses en demandant qu’il soit amendé, ou qu’un ministre s’engage à le modifier ou à présenter une politique qui répondrait aux réserves que nous avons.

Le pouvoir de dire « non » a pour corollaire le pouvoir de négocier, comme nous l’avons constaté au cours des six derniers mois. Nous avons exercé notre pouvoir d’approbation par rapport à quelques projets de loi. Je vois la sénatrice Marshall de l’opposition opiner du bonnet. Lorsque l’opposition était en majorité dans cette enceinte, elle aurait pu dire « non » à certains projets de loi budgétaires, mais elle a dit « oui ». Il s’agissait d’une décision politique motivée par des raisons précises.

Nous avons donc le pouvoir de rejeter un projet de loi. Ainsi, à propos d’un projet de loi contenant des dispositions relatives à la protection des consommateurs, nous avons fait savoir que nous dirions « non ». Le pouvoir de négocier a pu être exercé. Si vous n’avez pas le pouvoir de dire « non », vous n’avez pas le pouvoir de négocier ou d’améliorer le projet de loi. À tous ceux qui affirment que nous devons toujours céder à la volonté de la majorité élue, j’aimerais dire que cela signifie que nous perdrons ainsi notre pouvoir de négociation.

Nous avons aussi le pouvoir de reporter à plus tard, qui constitue un pouvoir très efficace. En fait, au cours de la législature précédente, nombre de mes collègues se rappelleront le projet de loi sur les paris sportifs. Je vois certains sénateurs hocher la tête. Qu’avons-nous fait de ce projet de loi? Nous n’avons pas dit « oui » à l’étape de la troisième lecture. Nous n’avons pas dit « non » à l’étape de la troisième lecture. Nous n’avons débattu d’aucun amendement à quelque étape que ce soit. Nous n’avons simplement rien fait, et le projet de loi a échoué. Nous ne l’avons pas rejeté; nous n’avons fait que le reporter. Lorsque l’ordre du jour a appelé la question, les deux côtés ont répondu « non » — je regarde mon collègue, le sénateur Mockler — et il n’y avait personne d’un côté ou de l’autre qui voulait débattre du projet de loi. Le projet de loi est demeuré au Feuilleton, et, à la fin de la session, le projet de loi a échoué.

Honorables sénateurs, le pouvoir de reporter est très efficace. Avant d’envisager de redéfinir les pouvoirs du Sénat, nous devons réfléchir à la façon dont les pouvoirs du Sénat peuvent être exercés afin de protéger les intérêts régionaux qui sont expressément visés par notre mandat, c’est-à-dire protéger les minorités linguistiques et les autres minorités.

La Cour suprême, dans sa décision rendue en 2014, a dit très clairement que, au cours des années, le mandat du Sénat pour ce qui est de protéger les minorités ethniques, les minorités linguistiques, les Autochtones, les minorités raciales, les minorités sexuelles et toutes les autres minorités s’était élargi. La cour, dans sa grande sagesse, a reconnu que, dans le cadre de notre mandat actuel, il est de notre devoir constitutionnel de parler au nom de ces minorités. Pourquoi ce mandat précis nous a-t-il été confié? C’est parce que, à l’autre endroit, la majorité l’emporte, un point, c’est tout. Vous connaissez ce genre de jeux. Lorsque vous avez le plus de cartes, vous remportez tout. Vous ne gagnez pas en fonction du nombre d’as ou de rois que vous tenez dans vos mains, mais en fonction du nombre de cartes.

Puis-je avoir deux minutes de plus, honorables sénateurs?

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Le sénateur Joyal : Autrement dit, honorables sénateurs, je vous invite à réfléchir à cela dans le cadre de notre processus de modernisation. Nous nous efforçons de faire en sorte que le Sénat puisse exercer son jugement de manière plus indépendante. Cependant, nous ne devrions pas oublier que, en essayant d’amener le Sénat à plus d’indépendance dans ses délibérations, nous remettons aussi nos pouvoirs en question. J’ai entendu certaines personnes dire que le Sénat sera plus indépendant, mais que, évidemment, il n’exercera pas ses pouvoirs et ne s’opposera pas à la volonté de la majorité élue à l’autre endroit. Or, si nous sommes prêts à accepter cela, c’est que nous renonçons à notre devoir, exigé par la Constitution, de défendre les intérêts des régions et des minorités que nous avons été chargés de représenter dans cette enceinte. Cela ne veut pas dire que nous ne pouvons pas parvenir à une entente après avoir négocié et obtenu ce qui nous semble être un compromis acceptable, comme nous allons le faire à l’égard des amendements au projet de loi C-6 que le sénateur Eggleton et la sénatrice McCoy ont présentés dans cette enceinte au sujet du processus d’appel lié à la révocation de la citoyenneté. Cependant, c’est parce que nous pouvons dire « non » que nous sommes en mesure de négocier et d’obtenir un compromis acceptable afin d’améliorer la loi. Or, si nous renonçons à notre droit de veto, à notre capacité de dire « non », nous n’aurons plus de véritable pouvoir de négociation. Je vous invite donc à y réfléchir à deux fois avant de croire que, parce que nous serons plus indépendants, nous allons renoncer à notre pouvoir d’imposer notre veto ou de rejeter un projet de loi.

Honorables sénateurs, j’aimerais vous donner un dernier exemple. Je sais que nous n’avons plus beaucoup de temps, comme me l’indique la sénatrice Andreychuk.

J’espère que vous avez vu pendant la fin de semaine que le ministre de la Santé du Québec a décidé de faire un renvoi à la Cour d’appel du Québec concernant l’aide médicale à mourir. Il n’y a pas si longtemps, nous débattions d’un amendement au Sénat qui visait à demander au gouvernement de renvoyer la question à la Cour suprême. Bien évidemment, il y aura maintenant une approche en deux étapes. Une décision sera rendue par la Cour d’appel du Québec concernant l’interprétation du concept de mort raisonnablement prévisible, puis bien entendu le parti qui ne sera pas d’accord avec la décision fera appel ailleurs. Si nous avions insisté sur le fait de renvoyer cette disposition du projet de loi à la Cour suprême du Canada dans nos amendements, nous aurions pu obtenir des résultats qui auraient, en fin de compte, profité aux Canadiens.

À titre d’exemple, selon moi, quand nous prenons position au Sénat sur une question comme celle-ci, qui touche aux droits de minorités et aux droits de personnes adultes qui ont des problèmes de santé graves et irrémédiables, qui souffrent beaucoup et qui sont capables de donner leur consentement, je crois qu’il est possible de dire que ces personnes ont droit à l’aide médicale à mourir. Ensemble, nous avons décidé de remettre à plus tard la décision. Comme je vous l’ai dit, nous avons la possibilité de négocier. Ainsi, j’invite le Sénat à examiner l’article 16-3 du Règlement du Sénat, afin de mieux définir le contexte dans lequel nous devons négocier pour trouver des solutions en cas d’impasse avec la Chambre des communes et exercer notre plein pouvoir afin d’avoir de meilleures lois.

Honorables sénateurs, je recommande que le dixième rapport soit adopté, avec un amendement mineur.

Motion d’amendement

L’honorable Serge Joyal : Ainsi, honorables sénateurs, je propose :

Que le rapport soit modifié :

1. par substitution des mots « donne instruction au » par les mots « invite le »;

2. par substitution des mots « et au Comité » par les mots « et le Comité »;

3. par substitution des mots « de revoir » par les mots « à revoir ».

Cet amendement vise à remplacer le libellé qui affirme que le Sénat « donne instruction » au Comité du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement par un libellé qui « invite » le Comité du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement, afin d’assurer la conformité du rapport avec l’autre recommandation. On invite le comité au lieu de lui donner instruction. Il s’agit d’un changement simple et conforme aux façons de faire — les comités invitent d’autres comités à étudier des questions.

Cela dit, honorables sénateurs, je demande votre consentement pour amender le texte du dixième rapport. Merci, honorables sénateurs.

Son Honneur le Président : Sénateur Joyal, proposez-vous un amendement?

Le sénateur Joyal : J’ai proposé l’adoption du dixième rapport, alors je modifierais ma propre proposition. Il faudrait que je demande le consentement du Sénat pour procéder ainsi.

Je ne veux pas sonder la volonté du Sénat à votre place, mais je vois un consensus parmi les honorables sénateurs.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

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